Vu la procédure suivante :

I. Par une requête, enregistrée sous le n°2302395, le 7 mai 2023, le syndicat Sud PTT Gironde, représenté par Me Cesso, demande à la juge des référés saisie sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution de l’arrêté publié au RAA Spécial n°2023-085 du 5 mai 2023 du préfet de la Gironde autorisant la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs lors de la manifestation du 9 mai 2023 qui se déroulera de 18 heures à 23 heures ;

2°) de mettre à la charge de l’État une somme de 1 200 euros en application de l’article L. 761 1 du code de justice administrative.

Il soutient que l’urgence est établie dès lors que la manifestation doit avoir lieu le 9 mai 2023 soit deux jours après la présente requête et seulement 4 jours après l’arrêté dont il est demandé la suspension, lequel n’aurait plus d’objet à compter du 9 mai 23 heures ; l’arrêté porte atteinte à la liberté constitutionnelle de manifester, ainsi qu’au droit à une vie privée protégé par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; l’atteinte à ses droits et libertés est grave et illégale dès lors que l’arrêté méconnait l’article L. 242-5 du code de la sécurité intérieure car la manifestation a été organisée de manière à ne pas créer de trouble à l’ordre public, en raison du choix du lieu signe de paix (parvis des droits de l’Homme), du faible nombre de manifestants attendus (500) et du mode de manifestation (statique) ; enfin les moyens mis en œuvre sont disproportionnés dès lors que le périmètre de surveillance est trop large et le nombre de drones (2) trop important.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu’aucun des moyens n’est fondé.

II. Par une requête, enregistrée sous le n°2302396, le 7 mai 2023, le syndicat Sud PTT Gironde, représenté par Me Cesso, demande à la juge des référés saisie sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution de l’arrêté publié au RAA Spécial n°2023-086 du 5 mai 2023 du préfet de la Gironde autorisant la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs lors de la manifestation du 9 mai 2023 qui se déroulera de 18 heures à 23 heures ;

2°) de mettre à la charge de l’État une somme de 1 200 euros en application de l’article L. 761 1 du code de justice administrative.

Il soutient que l’urgence est établie dès lors que la manifestation doit avoir lieu le 9 mai 2023 soit deux jours après la présente requête et seulement 4 jours après l’arrêté dont il est demandé la suspension, lequel n’aurait plus d’objet à compter du 9 mai 23 heures ; l’arrêté porte atteinte à la liberté constitutionnelle de manifester, ainsi qu’au droit à une vie privée protégé par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; l’atteinte à ses droits et libertés est grave et illégale dès lors que l’arrêté méconnait l’article L. 242-5 du code de la sécurité intérieure car la manifestation a été organisée de manière à ne pas créer de trouble à l’ordre public, en raison du choix du lieu signe de paix (parvis des droits de l’Homme), du faible nombre de manifestants attendus (500) et du mode de manifestation (statique) ; enfin les moyens mis en œuvre sont disproportionnés dès lors que le périmètre de surveillance est trop large et le nombre de drones (2) trop important.

Des interventions volontaires du syndicat des avocats de France, du syndicat de la magistrature et de l’association de défense des libertés constitutionnelles, représentés par Me Meaude, ont été enregistrées le 8 mai 2023. Ils demandent au juge des référés de faire droit aux conclusions de la requête et de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que sont en cause, la liberté d’aller et venir, la liberté de manifester et le droit au respect de la vie privée ; l’arrêté en cause est inadapté et n’est pas absolument nécessaire ; il ne contient pas de garantie pour assurer le respect du droit à une vie privée et à la liberté de manifester ; les données personnelles ne sont pas suffisamment protégées dès lors que la « doctrine d’emploi » utilisée par les services de police n’est pas connue, et que le public manifestant n’est pas informé de manière adaptée qu’il est filmé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu’aucun des moyens n’est fondé ; que les précédentes manifestations des 23 mars 2023, 28 mars 2023, 6 avril 2023, 13 avril 2023 et 18 avril 2023 ont donné lieu à des débordements ; que l’utilisation des drones est strictement limitée aux nécessités du maintien de l’ordre public ; que les données enregistrées seront utilisées conformément à la législation en vigueur.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme Zuccarello pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Au cours de l’audience publique tenue en présence de Mme Jameau, greffière d’audience, Mme Zuccarello a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Cesso, représentant le syndicat Sud PTT Gironde, qui a confirmé ses écritures ;

- les observations de Me Meaude, représentant le syndicat des avocats de France, le syndicat de la magistrature et l’association de défense des libertés constitutionnelles, qui a confirmé ses écritures ;

- les observations de Mme W…, représentant le préfet de la Gironde, qui a confirmé ses écritures et de Mme H…, laquelle a répondu aux questions de la juge des référés.

Considérant ce qui suit :

1. L’arrêté publié au RAA Spécial n°2023-085 du 5 mai 2023 du préfet de la Gironde autorisant la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs lors de la manifestation du 9 mai 2023 qui se déroulera de 18 heures à 23 heures a été abrogé et remplacé par l’arrêté du même jour ayant le même objet, publié au RAA Spécial n°2023-086. Par suite, les conclusions de la requête n° 2302395 sont devenues sans objet, et il n’y a plus lieu de statuer.

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

3. Par un arrêté du 5 mai 2023 le préfet de la Gironde a autorisé la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs dans le cadre d’une manifestation déclarée par les syndicats Sud PTT Gironde et Solidaire 33, qui se déroulera le 9 mai 2023, contre la réforme des retraites et les violences d’Etat, annoncée comme une manifestation statique localisée sur le parvis des droits de l’Homme à Bordeaux. Le Syndicat Sud PTT Gironde demande à la juge des référés, saisie sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de cet arrêté. Le syndicat des avocats de France, le syndicat de la magistrature et l’association de défense des libertés constitutionnelles interviennent au soutien de cette demande.

Sur les interventions :

4. Les interventions du syndicat des avocats de France, du syndicat de la magistrature et de l’association de défense des libertés constitutionnelles sont admises, dès lors qu’ils justifient d’un intérêt suffisant pour demander la suspension de l’arrêté du 5 mai 2023 du préfet de la Gironde.

Sur l’urgence :

5. Il résulte de l’instruction que l’arrêté contesté du 5 mai 2023 par lequel le préfet de la Gironde a autorisé la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs dans le cadre d’une manifestation n’a vocation à s’appliquer que le 9 mai de 18 heures à 23 heures. Compte tenu de la courte durée d’application de cet arrêté, les requérants justifient d’une situation particulière nécessitant que le juge des référés statue à bref délai dans le cadre des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

Sur l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

6. Aux termes de l’article L. 242-5 du code de sécurité intérieure : « I. -Dans l'exercice de leurs missions de prévention des atteintes à l'ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens, les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale ainsi que les militaires des armées déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l'article L. 1321-1 du code de la défense peuvent être autorisés à procéder à la captation, à l'enregistrement et à la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs aux fins d'assurer : 1° La prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés, en raison de leurs caractéristiques ou des faits qui s'y sont déjà déroulés, à des risques d'agression, de vol ou de trafic d'armes, d'êtres humains ou de stupéfiants, ainsi que la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats, lorsqu'ils sont particulièrement exposés à des risques d'intrusion ou de dégradation ; 2° La sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public ainsi que l'appui des personnels au sol, en vue de leur permettre de maintenir ou de rétablir l'ordre public, lorsque ces rassemblements sont susceptibles d'entraîner des troubles graves à l'ordre public (…) Le recours aux dispositifs prévus au présent I peut uniquement être autorisé lorsqu'il est proportionné au regard de la finalité poursuivie (…) III. -Les dispositifs aéroportés mentionnés aux I (...) sont employés de telle sorte qu'ils ne visent pas à recueillir les images de l'intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées. Lorsque l'emploi de ces dispositifs conduit à visualiser ces lieux, l'enregistrement est immédiatement interrompu. Toutefois, lorsqu'une telle interruption n'a pu avoir lieu compte tenu des circonstances de l'intervention, les images enregistrées sont supprimées dans un délai de quarante-huit heures à compter de la fin du déploiement du dispositif, sauf transmission dans ce délai dans le cadre d'un signalement à l'autorité judiciaire, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale. IV. -L'autorisation est subordonnée à une demande qui précise : 1° Le service responsable des opérations ; 2° La finalité poursuivie ; 3° La justification de la nécessité de recourir au dispositif, permettant notamment d'apprécier la proportionnalité de son usage au regard de la finalité poursuivie ; 4° Les caractéristiques techniques du matériel nécessaire à la poursuite de la finalité ; 5° Le nombre de caméras susceptibles de procéder simultanément aux enregistrements ; 6° Le cas échéant, les modalités d'information du public ; 7° La durée souhaitée de l'autorisation ; 8° Le périmètre géographique concerné. L'autorisation est délivrée par décision écrite et motivée du représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, du préfet de police, qui s'assure du respect du présent chapitre. Elle détermine la finalité poursuivie et ne peut excéder le périmètre géographique strictement nécessaire à l'atteinte de cette finalité. Elle fixe le nombre maximal de caméras pouvant procéder simultanément aux enregistrements, au regard des autorisations déjà délivrées dans le même périmètre géographique. Elle est délivrée pour une durée maximale de trois mois, renouvelable selon les mêmes modalités, lorsque les conditions de sa délivrance continuent d'être réunies. Toutefois, lorsqu'elle est sollicitée au titre de la finalité prévue au 2° du I, l'autorisation n'est délivrée que pour la durée du rassemblement concerné. Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut mettre fin à tout moment à l'autorisation qu'il a délivrée, dès lors qu'il constate que les conditions ayant justifié sa délivrance ne sont plus réunies) VII. -Le nombre maximal de caméras pouvant être simultanément utilisées dans chaque département est fixé par arrêté du ministre de l'intérieur ». Selon l’article R. 242 14 : « La mise en œuvre des traitements mentionnés à l'article R. 242-8 est subordonnée à l'envoi préalable à la Commission nationale de l'informatique et des libertés d'un engagement de conformité aux dispositions du présent chapitre, en application du IV de l'article 31 de la loi n°78 17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Cet envoi est accompli respectivement par la direction générale de la police nationale, la direction générale de la gendarmerie nationale, la préfecture de police, la direction générale des douanes et des droits indirects et le ministère des armées pour les services qui leur sont rattachés ».

7. D’une part, il résulte de l’instruction, qu’eu égard au contexte social actuel très tendu et aux violences constatées lors des précédentes et récentes manifestations des 23 mars 2023 (porte de la mairie incendiée et autres incendies), 28 mars 2023 (nombreuses dégradations et affrontements ayant donné lieu à 6 blessés pour les forces de police, un blessé pour les manifestants), 6 avril 2023 (dégradations commises au rectorat de Bordeaux et incendies multiples), 13 avril 2023 (nombreux actes de vandalisme) et 18 avril 2023 (nombreux incendies), il ne peut être sérieusement contesté qu’il existe des risques sérieux de violences et de troubles à l’ordre public lors de la manifestation du 9 mai 2023 à Bordeaux dont l’objet, « rassemblement pour le droit à la retraite et contre les violences d’Etat », est similaire à l’objet des précédentes manifestations qui ont donné lieu à ces violences. Les circonstances que ce rassemblement serait statique, que le nombre de manifestants attendus serait de 500 personnes et que le lieu serait un lieu « apaisé » eu égard à sa dénomination de « parvis des droits de l’Homme », ne sauraient abolir ce risque dès lors que certaines des précédentes manifestations au cours desquelles les violences ont eu lieu, se sont déroulées dans des conditions similaires de lieu et de nombre de participants. Au demeurant, l’heure tardive de la manifestation qui est prévue pour se terminer à 23 heures, accroit le risque de passage à l’acte violent. Par ailleurs, si la vidéosurveillance installée dans le centre-ville de Bordeaux peut concourir aux mêmes buts, ce qui ne rendrait pas absolument nécessaire le recours à la captation d’images par drone, il résulte également de l’instruction que lors de précédentes manifestations, les caméras de vidéosurveillance ont été neutralisées soit par leur dégradation, soit par des coupures de courant localisées, outre qu’elles ne remplissent pas le même office et ne permettent pas de disposer d’une vision de grand angle sur le déroulement de la manifestation. Enfin, il est constant que la captation d’images par drone permet une dispersion maitrisée du rassemblement, et permet de limiter la présence au sol des forces de l’ordre, elles même d’ailleurs porteuses de caméras embarquées, limitant ainsi les affrontements éventuels dans un but conforme à l’objet de la manifestation de lutte contre les « violences d’Etat ». L’amplitude horaire autorisée est limitée au temps de la manifestation, de 18 heures à 23 heures, et si le périmètre autorisé dépasse le cadre du rassemblement prévu sur le parvis des droits de l’Homme, cela résulte des nécessités de gérer la dispersion du groupe et d’envisager d’éventuels débordements alentours. La présence de deux drones est en outre justifiée par des nécessités techniques, de parer à d’éventuelles défaillances de l’un des drones, ces engins filmant la même zone et ne sont pas répartis sur plusieurs territoires.

8. D’autre part, si les requérants soutiennent que la captation d’images par drone serait susceptible de porter une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester, à la liberté d’aller et venir et à la vie privée ou au droit à l’image, il n’est pas établi que les enregistrements porteront sur des données sensibles, dès lors que le préfet soutient sans être contredit que les données ne portent que sur la voie publique et seront conservées et utilisées conformément à la législation en vigueur, soit une conservation de 7 jours et une utilisation seulement sur signalement de l’autorité judiciaire. Si la « doctrine d’emploi » n’a pas été produite à l’instance, rien ne permet en l’état de l’instruction, de considérer que l’utilisation de drones serait en l’espèce, contraire à la loi du 24 janvier 2022 ou au décret d’application du 19 avril 2023. Enfin, l’arrêté en cause a fait l’objet d’une publication au RAA Spécial de la préfecture et eu égard au bref délai qui sépare le rassemblement de sa déclaration aux autorités compétentes, il n’est pas davantage établi, qu’en l’espèce, des mesures de publicité supplémentaires quant à l’utilisation des drones par les forces de police, auraient pu être mises en œuvre à l’occasion de cette manifestation ou auraient été nécessaires.

9. Il résulte de tout ce qui précède, que les requérants n’établissent pas que l’arrêté dont ils demandent la suspension porte une atteinte grave et manifestement illégale aux droits et libertés invoqués. La requête n°2302396 doit donc être rejetée.

10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle, en tout état de cause, à ce que l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans les présentes instances, verse au syndicat requérant et aux intervenants une somme sur ce fondement.

O R D O N N E:

Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur la requête n°2302395.

Article 2 : Les interventions, du syndicat des avocats de France, du syndicat de la magistrature et de l’association de défense des libertés constitutionnelles, sont admises.

Article 3 : Les conclusions de la requête n°2302396 et les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat Sud PTT Gironde, au syndicat des avocats de France, au syndicat de la magistrature, à l’association de défense des libertés constitutionnelles et au préfet de la Gironde.