Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 20 octobre 2022 et 13 mars 2023, M. C... A..., représenté par Me Hugues Portelli, Me Serge Portelli et Me Hélène Lecat, avocats, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision de la préfète de la Gironde rejetant implicitement sa demande du 18 août 2022 de sortie de l’unité pour malades difficiles (UMD) de l’hôpital de Cadillac pour une poursuite de ses soins psychiatriques sans consentement dans un établissement de santé « ordinaire » ;

2°) d’enjoindre au préfet de la Gironde de procéder immédiatement à la mainlevée de son placement en unité pour malades difficiles, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- compte tenu de l’ordonnance de la Cour d’appel de Bordeaux du 19 juin 2022 ayant décliné la compétence de la juridiction judiciaire, la juridiction administrative est compétente pour apprécier de la légalité de la décision préfectorale refusant la levée de son placement en unité pour malades difficiles (UMD) ;

- compte tenu des avis successifs de la commission de suivi médical préconisant son transfert en établissement psychiatrique dit « ordinaire », la préfète la Gironde était en situation de compétence liée pour lever son placement en UMD, par application des dispositions de l’article R. 3222-6 du code de la santé publique ;

- la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation ;

- à supposer que l’article R. 3222-6 du code de la santé publique laisse un pouvoir d’appréciation à l’administration au détriment du juge judiciaire et de l’autorité médicale, ces dispositions seraient contraires à l’article 66 de la constitution, à l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

- son placement en UMD depuis dix-sept ans est caractéristique d’un détournement de pouvoir, dès lors que la durée moyenne de séjour dans de telles unités est de six mois ;

- la préfète de la Gironde le maintien dans un régime d’internement d’exception attentatoire à ses libertés individuelles et non justifié au regard tant des avis des commissions de suivi médical, des rapports d’expertise que des constats opérés par le juge de la liberté et de la détention ;

- cette décision est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

Par des mémoires en défense enregistrés les 20 février et 15 mars 2023, le préfet de la Gironde conclut au sursis-à-statuer dans l’attente de l’arrêt de la Cour de cassation sur le pourvoi formé par M. A... à l’encontre de l’ordonnance de la Cour d’appel de Bordeaux du 19 juin 2022 ou à l’incompétence de la juridiction administrative pour connaitre de la requête et, à titre subsidiaire, au rejet de la requête.

Il soutient que :

- il apparait utile de connaitre l’issue de l’instance en cours devant la Cour de cassation avant que le tribunal ne statue sur la requête de M. A... ;

- en tout état de cause, et eu égard à ce qu’a déjà jugé le tribunal dans une ordonnance du 14 mars 2018 et un jugement du 13 juillet 2021, la juridiction administrative est incompétente pour connaitre de cette requête ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de Mme Molina-Andréo, rapporteure,

- les conclusions de Mme Champenois, rapporteure publique,

- et les observations de Me Portelli représentant M. A... et de M. B... représentant la préfecture de la Gironde.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., né le 19 octobre 1983, est atteint d’un trouble psychotique de nature schizophrénique, avec instabilité de la relation au réel et de l’identité, délire paranoïde et ambivalence affective. Il était suivi par un service psychiatrique lorsqu’il a donné la mort, dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004, à deux infirmières de l’établissement de santé. Depuis ces faits, qui ont donné lieu à une déclaration d’irresponsabilité pénale, M. A... a été placé à compter du 1er février 2005 au sein de l’unité pour malades difficiles (UMD) du centre hospitalier de Cadillac, sur le fondement d’un arrêté préfectoral du 31 janvier 2005 portant hospitalisation d’office sans cesse renouvelé. Par courrier du 18 août 2022, M. A... a demandé à la préfète de la Gironde de prononcer sa sortie de l’UMD pour une poursuite de ses soins psychiatriques sans consentement dans un établissement de santé dit « ordinaire ». Le silence gardé par la préfète de la Gironde pendant plus de deux mois sur cette demande a fait naitre une décision implicite de rejet dont M. A... demande l’annulation.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. D’une part, les articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1 du code de la santé publique, issus de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, donnent compétence au juge des libertés et de la détention pour contrôler de manière régulière et systématique ainsi que de manière facultative, à la demande notamment des personnes et de leur entourage, la poursuite des mesures de soins sans consentement et en ordonner leur mainlevée. L’article L. 3211-12-2 du même code précise la procédure applicable lorsque le juge des libertés et de la détention est saisi en application des articles L. 3211-12 ou L. 3211-12-1, soit à tout moment aux fins d'ordonner la mainlevée d'une mesure de soins psychiatriques, soit avant l’expiration de certains délais, pour statuer sur la poursuite de l’hospitalisation complète d’un patient. Aux termes de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique, figurant dans le titre Ier du livre II, de la troisième partie législative de ce code : « La régularité des décisions administratives prises en application des chapitres II à IV du présent titre ne peut être contestée que devant le juge judiciaire. / Le juge des libertés et de la détention connaît des contestations mentionnées au premier alinéa du présent article dans le cadre des instances introduites en application des articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1. Dans ce cas, l'irrégularité affectant une décision administrative mentionnée au premier alinéa du présent article n'entraîne la mainlevée de la mesure que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l'objet. / Lorsque le tribunal judiciaire statue sur les demandes en réparation des conséquences dommageables résultant pour l'intéressé des décisions administratives mentionnées au premier alinéa, il peut, à cette fin, connaître des irrégularités dont ces dernières seraient entachées. ».

3. Depuis l'entrée en vigueur des articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique issus de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, la juridiction judiciaire est seule compétente pour apprécier non seulement le bien-fondé mais également la régularité d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement et les conséquences qui peuvent en résulter. Dès lors, toute action relative à telle mesure doit être portée devant cette juridiction à laquelle il appartient, le cas échéant, d'en prononcer l'annulation.

4. D’autre part, aux termes de l’article R. 3222-1 du code de la santé publique, figurant dans le titre II, du livre II, de la troisième partie règlementaire de ce code : « Les unités pour malades difficiles accueillent des patients relevant de soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète en application des chapitres III et IV du titre Ier du livre II de la troisième partie du présent code ou de l'article 706-135 du code de procédure pénale et dont l'état de santé requiert la mise en œuvre, sur proposition médicale et dans un but thérapeutique, de protocoles de soins intensifs et de mesures de sécurité particulières. ». Aux termes de l’article R. 3222-2 de ce code : « (…) L'admission du patient dans une unité pour malades difficiles est prononcée par arrêté du préfet du département (…) où se trouve l'établissement dans lequel est hospitalisé le patient avant son admission en unité pour malades difficiles. / (…) ». Aux termes de l’article R. 3222-6 du même code : « Lorsque la commission du suivi médical prévue à l'article R. 3222-4, saisie le cas échéant par le psychiatre responsable de l'unité pour malades difficiles, constate que les conditions mentionnées à l'article R. 3222-1 ne sont plus remplies, elle saisit le préfet du département d'implantation de l'unité (…), qui prononce, par arrêté, la sortie du patient de l'unité pour malades difficiles et informe de sa décision le préfet ayant pris l'arrêté initial d'admission dans cette unité ainsi que l'établissement de santé qui avait demandé l'admission du patient. La sortie peut être décidée sous forme : / 1° D'une levée de la mesure de soins sans consentement ; ou / 2° De la poursuite des soins sans consentement soit dans l'établissement de santé où le patient se trouvait lors de la décision d'admission en unité pour malades difficiles, soit dans un autre établissement de santé mentionné à l'article L. 3222-1. /L'établissement de santé qui a demandé l'admission du patient organise la poursuite des soins en son sein ou dans un autre établissement de santé en cas de nécessité. L'établissement désigné par l'arrêté préfectoral accueille le patient dans un délai maximal de vingt jours. / Lorsque le préfet prononce, sous la forme prévue au 1°, la sortie de l'unité pour malades difficiles d'une personne détenue, le retour de cette dernière en détention ou en unité hospitalière spécialement aménagée est organisé à bref délai dans les conditions prévues par le chapitre IV du titre Ier du présent livre. ».

5. Les dispositions citées au point précédent ne modifient pas le régime juridique de privation de liberté auquel sont soumises les personnes prises en charge dans une unité pour malades difficiles, qui reste défini par les dispositions applicables à l’ensemble des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques sans leur consentement sous la forme d'une hospitalisation complète, prévues notamment aux articles L. 3211-3 et L. 3211-12 du code de la santé publique relatifs aux droits dont elles disposent et à la mainlevée de la mesure par le juge des libertés et de la détention.

6. En l’espèce, M. A... conteste le bien-fondé d’un refus de sortie de l’unité pour malades difficiles au sein de laquelle il est accueilli, qui relève des mesures d’organisation des soins psychiatriques sans consentement, prévues dans le cadre du titre II du livre II de la troisième partie réglementaire du code de la santé publique, aux articles R. 3222-1 et suivants. Si une telle mesure n’était pas, à la date de la décision contestée, expressément mentionnée par les dispositions applicables au contentieux des hospitalisations sans consentement attribuant compétence à la juridiction judiciaire, elle constitue une modalité de cette prise en charge, qui porte une atteinte supplémentaire aux droits et libertés de la personne qui en est l’objet. Dans ces conditions, la contestation d’une telle décision apparaît ne pouvoir être portée que devant le juge des libertés et de la détention.

Sur le renvoi au Tribunal des conflits :

7. Aux termes de l’article 32 du décret du 27 février 2015 relative au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles : « (…) Lorsqu'une juridiction de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif a, par une décision qui n'est plus susceptible de recours, décliné la compétence de l'ordre de juridiction auquel elle appartient au motif que le litige ne ressortit pas à cet ordre, toute juridiction de l'autre ordre, saisie du même litige, si elle estime que le litige ressortit à l'ordre de juridiction primitivement saisi, doit, par une décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours même en cassation, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et surseoir à toute procédure jusqu'à la décision du tribunal. ». Si cet article précise que la première décision juridictionnelle d'incompétence ne doit plus être « susceptible de recours », l'obligation de renvoi au Tribunal des conflits en prévention de conflit négatif qui résulte de ces dispositions s'applique alors même que cette décision peut encore faire ou a fait l'objet d'un pourvoi en cassation.

8. Il ressort des pièces du dossier que par une ordonnance du 17 juin 2022, le conseiller délégué à la Cour d’appel de Bordeaux s’est déclaré « incompétent sur la demande présentée par Monsieur C... A... tendant à obtenir la mainlevée de son placement en unité pour malades difficiles au sein du centre hospitalier psychiatrique de Cadillac », aux motifs « que l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique délimite le champ d’intervention du juge des libertés et de la détentionqui s’exerce limitativement sur les chapitres II à IV du titre premier du deuxième livre de la troisième partie du code », « que le placement en UMD ne constitue pas l’une des formes visées à l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique mais une simple modalité de prise en charge à visée thérapeutique au cours d’une mesure d’hospitalisation complète », « que les règles relatives aux unités pour malades difficiles (…) sont insérées au sein du deuxième titre du deuxième livre de la troisième partie du code de la santé publique » et que « le contrôle de la régularité des décisions administratives prises en application des chapitre II à IV du premier titre, qui ne peut être effectivement contestée que devant le juge judiciaire en application des dispositions de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique, n’a pas vocation à être exercé pour ce qui concerne les décisions administratives de mainlevée d’une UMD ». Dans ces conditions, et quand bien même cette ordonnance a fait l’objet d’un pourvoi n° P2221743 devant la Cour de cassation, il y a lieu de renvoyer immédiatement au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée en application des dispositions précitées et de surseoir à statuer sur toutes autres conclusions.

D E C I D E :

Article 1er : L’affaire est renvoyée au Tribunal des conflits.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. A... jusqu’à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir quel est l’ordre de juridiction compétent pour statuer sur ce litige.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. C... A... et au préfet de la Gironde.