Vu la procédure suivante :

Par une requête et des pièces complémentaires enregistrés les 20 et 28 juillet 2021 et les 3 janvier, 13 janvier et 24 juin 2022, les associations Vive la Forêt et des Riverains du lac de Lacanau, représentées par Me Ruffié, demandent au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté en date du 22 janvier 2021 par lequel le maire de la commune de Lacanau a délivré à la société civile de construction vente (SCCV) Moutchic un permis de construire pour la construction d’une résidence pour personnes âgées, d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, d’un pôle de santé et d’une crèche sur un terrain situé avenue du docteur Pierre Arnou-Laujeac à Lacanau, ensemble la décision implicite née le 20 mai 2021 rejetant leur recours gracieux ;

2°) d’annuler l’arrêté du 28 avril 2022 par lequel cette autorité a délivré à la société Moutchic un permis de construire modificatif ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Lacanau et de la société Moutchic une somme de 1 200 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- l’étude d’impact est insuffisante : en effet, d’une part l’impact du projet sur les zones Natura 2000 n’a pas été suffisamment étudié et, d’autre part, les mesures d’évitement, de réduction et de compensation sont insuffisantes ;

- l’arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme ;

- l’arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme ;

- l’arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l’article L. 121-23 du code de l’urbanisme dès lors que l’ensemble de l’assiette du projet doit être regardé comme un espace remarquable ;

- l’arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l’article R. 121-5 du code de l’urbanisme et de l’article NR1 du règlement de la zone NR du PLU de Lacanau ;

- l’arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme ;

- l’arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme eu égard au risque d’incendie dans le secteur dans lequel le projet s’implante ;

- l’arrêté attaqué méconnaît les dispositions du règlement de la zone orange du PPRIF dès lors que la piste périphérique permettant l’accès des services d’incendie et de secours n’est pas conforme ;

- l’arrêté attaqué méconnaît les dispositions des articles R. 111-26 du code de l’urbanisme et R. 122-5 et R. 122-13 du code de l’environnement dès lors que les prescriptions relatives aux mesures ERC dont il est assorti sont insuffisantes et que le dossier de demande de permis de construire n’indiquait pas que le projet devait être précédé d’une dérogation au titre du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ;

- l’arrêté attaqué est illégal du fait de l’illégalité de l’autorisation de défrichement délivrée par la préfète de la Gironde le 22 janvier 2021 ;

- le permis de construire modificatif n’a pas eu pour effet de régulariser les vices invoqués, dès lors d’une part que l’élargissement de la voie d’accès constitue l’extension d’une construction existante dans la bande des 100 mètres en méconnaissance des articles L. 121-16 et L. 121-3 du code de l'urbanisme, et d’autre part que la piste DFCI, qui s’impose uniquement pour la desserte des constructions envisagées, méconnaît les dispositions du règlement de la zone Nr du plan local d'urbanisme.

Par des mémoires en défense enregistrés le 3 novembre 2021 et les 4 février, 4 mai et 15 septembre 2022, la société en nom collectif Moutchic, représentée par Me Bonneau, conclut à titre principal au rejet de la requête, et à ce que soit mise à la charge des requérants la somme de 2 000 euros chacune en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, et à titre subsidiaire à ce qu’il soit fait application des dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable car tardive ;

- les moyens ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense enregistrés le 5 novembre 2021 et le 27 septembre 2022, la commune de Lacanau, représentée par la SELAS Cazamajour et Urbanlaw, conclut à titre principal au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des requérantes la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, et à titre subsidiaire à ce qu’il soit fait application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable à défaut d’accomplissement des formalités de notification prévues par les dispositions de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme ;

- la requête est irrecevable car tardive dès lors que les requérantes ne justifient pas avoir notifié à la société pétitionnaire leur recours gracieux dans les conditions posées par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, l’exercice du recours gracieux n’a donc pas été de nature à conserver le délai de recours contentieux ; - la requête est irrecevable à défaut de qualité pour agir des requérantes ;

- la requête est irrecevable à défaut d’intérêt pour agir des requérantes ;

- les moyens ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 19 septembre 2022, la clôture de l’instruction a été fixée au 2 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l’environnement ;

- le code de l’urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Josserand,

- les conclusions de M. Vaquero, rapporteur public,

- les observations de Me Gualandi, représentant les deux associations requérantes,

- les observations de Me Bonneau, représentant la société Moutchic,

- et les observations de Me Cazamajour, représentant la commune de Lacanau.

Une note en délibéré produite par la commune de Lacanau, enregistrée le 5 janvier 2023, n’a pas été communiquée.

Une note en délibéré produite par l’association des Riverains du lac de Lacanau, enregistrée le 5 janvier 2023, n’a pas été communiquée.

Une note en délibéré produite par la société Moutchic, enregistrée le 5 janvier 2023, n’a pas été communiquée.

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 22 janvier 2021 le maire de la commune de Lacanau a délivré à la société Moutchic un permis de construire pour la construction d’une résidence pour personnes âgées, d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, d’un pôle de santé et d’une crèche sur un terrain situé avenue du docteur Pierre Arnou-Laujeac à Lacanau. Par un courrier du 20 mars 2021, les associations Vive la Forêt et des Riverains du lac de Lacanau ont formé un recours gracieux à l’encontre de cette décision, rejeté de manière implicite par le maire de Lacanau. Par la présente requête, les associations Vive la Forêt et des Riverains du lac de Lacanau demandent l’annulation de l’arrêté du 22 janvier 2021, ensemble la décision implicite de rejet de leur recours gracieux. En cours d’instance, par un arrêté du 28 septembre 2022, le maire de Lacanau a accordé à la société Moutchic un permis de construire modificatif, portant sur la modification des voies de desserte, dont les associations requérantes demandent également l’annulation.

Sur la recevabilité de la requête :

En ce qui concerne la tardivité de la requête :

2. Aux termes de l’article R. 600-2 du code de l’urbanisme : « Le délai de recours contentieux à l'encontre d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d'un permis de construire, d'aménager ou de démolir court à l'égard des tiers à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l'article R. 424-15 ». Aux termes de l’article R. 424-15 du même code : « Mention du permis explicite ou tacite ou de la déclaration préalable doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l'extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l'arrêté ou dès la date à laquelle le permis tacite ou la décision de non-opposition à la déclaration préalable est acquis et pendant toute la durée du chantier. (…) / Cet affichage mentionne également l'obligation, prévue à peine d'irrecevabilité par l'article R. 600-1, de notifier tout recours administratif ou tout recours contentieux à l'auteur de la décision et au bénéficiaire du permis ou de la décision prise sur la déclaration préalable (...) ».

3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du constat d’affichage du permis de construire en litige dressé par huissier de justice le 29 janvier 2021, que l’autorisation attaquée a été affichée sur le terrain d’assiette du projet sur un panneau de taille réglementaire, que les mentions qu’il contenait étaient visibles et lisibles depuis la voie publique et qu’elles suffisaient à l’information des tiers. Toutefois, il ne ressort pas de ce constat, qui ne fait état d’aucun autre passage de l’huissier sur le terrain, que cet affichage ait été réalisé sur une période continue de deux mois et qu’il ait été ainsi de nature à déclencher le délai de recours contentieux des tiers à l’encontre de l’autorisation litigieuse. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que les associations requérantes ont, par courrier daté 20 mars 2021, formé un recours gracieux contre l’arrêté attaqué réceptionné par la commune de Lacanau le 23 mars 2021, soit dans un délai de deux mois à compter du 29 janvier 2021. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la tardivité de la requête opposée par la commune de Lacanau doit être rejetée.

En ce qui concerne le défaut d’accomplissement des formalités de notification des recours gracieux et contentieux :

4. Aux termes de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme : « En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l'encontre d'un certificat d'urbanisme, ou d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, le préfet ou l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation. (….) L'auteur d'un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d'irrecevabilité du recours contentieux qu'il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif. La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours. La notification du recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, au titulaire de l'autorisation est réputée accomplie à la date d'envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception. Cette date est établie par le certificat de dépôt de la lettre recommandée auprès des services postaux. (….) ».

5. Il ressort des pièces du dossier que les associations Vive la Forêt et des Riverains du lac de Lacanau ont notifié à la commune et à la société pétitionnaire, par courriers recommandés datés du 21 juillet 2021, le recours contentieux à l’encontre de l’arrêté du 22 janvier 2021. Préalablement, elles ont formé un recours gracieux à l’encontre de cet arrêté qu’elles ont notifié par courriers recommandés datés du 20 mars 2021 à la commune de Lacanau et à « Réalités Agence de Bordeaux – L.. – rue Y – 33000 Bordeaux ». Si la société pétitionnaire fait valoir en défense que cette notification est irrégulière dès lors qu’elle n’a pas été adressée à la société Moutchic, titulaire du permis de construire attaqué, il ressort des pièces du dossier, et notamment du mémoire en réponse à l’avis de la mission régionale de l’autorité environnementale daté du 30 juin 2020, que l’opérateur immobilier « Réalités » n’est certes pas le titulaire de l’autorisation attaqué mais a le même gérant que la société Moutchic et se présente comme le porteur du projet en litige. En tout état de cause, et alors que la notification irrégulière d’un recours contentieux empêche seulement la conservation du délai de recours contentieux, il ressort de ce qui a été dit au point 3 qu’en l’absence de preuve d’un affichage continu de deux mois sur le terrain, le délai de recours contentieux à l’égard des tiers n’a pas couru. Par suite, les fins de non-recevoir tirées de l’irrégularité des formalités de notification des recours gracieux et contentieux doivent être rejetées.

En ce qui concerne l’absence de qualité et d’intérêt à agir des associations requérantes :

S’agissant de leur objet statutaire et de l’antériorité du dépôt de leur statut :

6. Aux termes de l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme : « Une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu au moins un an avant l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. ».

7. L’association des Riverains du lac de Lacanau produit des statuts issus de son assemblée générale du 25 mai 1995 dont il ressort que son objet social consiste en « la sauvegarde du site, des rivages, de la faune et de la qualité des eaux du Lac et plus généralement à la conservation d’un cadre de vie stable et convivial », lui donnant ainsi qualité pour agir à l’encontre de l’autorisation attaquée. Toutefois, elle ne justifie pas de la date de dépôt de ses statuts modifiés, ne justifiant que d’un dépôt effectué en sous-préfecture de Lesparre-Médoc et datant du 8 juillet 1991, dont il ne ressort pas que l’objet mentionné était identique. La fin de non-recevoir peut donc être accueillie en tant que la requête émane de cette association.

8. En revanche, et en tout état de cause, l’association Vive la Forêt justifie du dépôt de ses statuts en sous préfecture de Lesparre-Médoc le 28 avril 2007. Il ressort de ces derniers que son objet, qui n’a pas été modifié lors de la dernière modification statutaire de 2014, consiste en « la défense de l’ensemble des massifs forestiers (…) et la défense du littoral girondin (océan, lacs, (…)) ». Dans ces conditions, elle justifie de son intérêt à agir à l’encontre de la décision attaquée, ce qui permet de regarder la présente requête comme recevable.

S’agissant de l’habilitation pour ester en justice :

9. Il ressort des pièces du dossier que le président de l’association Vive la Forêt a été habilité par son conseil d’administration pour ester en justice au nom de l’association par un vote daté du 18 mars 2021 puis par une délibération du 17 décembre 2021. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense par la commune à ce titre doit être écartée, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir afférente à la représentation en justice de l’association des Riverains du lac de Lacanau.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

10. Lorsqu’un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l'utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l'illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d'un permis modificatif dès lors que celui-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l'exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises et que les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d’illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale. À ce titre, la seule circonstance que ces modifications portent sur des éléments tels que son implantation, ses dimensions ou son apparence ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce qu’elles fassent l’objet d’un permis modificatif. Les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial.

11. En premier lieu, aux termes de l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme : « Les dispositions du présent chapitre déterminent les conditions d'utilisation des espaces terrestres, maritimes et lacustres : 1° Dans les communes littorales définies à l'article L. 321-2 du code de l'environnement ; (…) ». Aux termes de l’article L. 121-23 du code de l’urbanisme : « Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Un décret fixe la liste des espaces et milieux à préserver, comportant notamment, en fonction de l'intérêt écologique qu'ils présentent, les dunes et les landes côtières, les plages et lidos, les forêts et zones boisées côtières, les îlots inhabités, les parties naturelles des estuaires, des rias ou abers et des caps, les marais, les vasières, les zones humides et milieux temporairement immergés ainsi que les zones de repos, de nidification et de gagnage de l'avifaune désignée par la directive 79/409 CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages. » Aux termes de l’article L. 121-24 du même code : « Des aménagements légers, dont la liste limitative et les caractéristiques sont définies par décret en Conseil d'État, peuvent être implantés dans ces espaces et milieux lorsqu'ils sont nécessaires à leur gestion, à leur mise en valeur notamment économique ou, le cas échéant, à leur ouverture au public, et qu'ils ne portent pas atteinte au caractère remarquable du site. (…)». Aux termes de l’article R. 121-4 du même code : « En application de l'article L. 121-23, sont préservés, dès lors qu'ils constituent un site ou un paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral et sont nécessaires au maintien des équilibres biologiques ou présentent un intérêt écologique :1° Les dunes, les landes côtières, les plages et les lidos, les estrans, les falaises et les abords de celles-ci ; / 2° Les forêts et zones boisées proches du rivage de la mer et des plans d'eau intérieurs d'une superficie supérieure à 1 000 hectares ; / 6° Les milieux abritant des concentrations naturelles d'espèces animales ou végétales (…) / 7° Les parties naturelles des sites inscrits ou classés en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l'environnement (…) ».

12. Le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur l'application des dispositions de l'article L.121-23 du code de l'urbanisme en vertu desquelles les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques.

13. Il ressort des pièces du dossier que le projet en litige, qui consiste en la construction d’une résidence pour personnes âgées, d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, d’un pôle de santé et d’une crèche pour une surface de plancher totale de 9 768 m2 sur une emprise foncière de 66 086 m2, s’implante sur deux parcelles, cadastrées section AK n° 1 et n° 41, situées en bordure Nord-Ouest du lac de Lacanau, dans la continuité du quartier de Carreyre et à proximité de celui du Moutchic. Bordé au Nord, à l’Ouest et au Sud par des espaces boisés classés, le terrain d’assiette du projet est pour partie classé en zone Nr du plan local d’urbanisme (PLU) de Lacanau qui couvre les espaces naturels remarquables au titre de la loi littoral. Le projet en litige s’implante à proximité de deux sites Natura 2000, dont le site « Zones humides de l’arrière-dune du littoral girondin » avec lequel, eu égard à sa proximité immédiate, des connexions écologiques sont possibles. Il est inclus dans le site inscrit des Étangs girondins et borde le site classé du même nom (classement limité à la partie en eau des étangs). Il présente des enjeux écologiques fort pour toute la partie Nord du terrain, à l’endroit même d’implantation des constructions projetées, dans laquelle sont répertoriées des espèces protégées (milan noir et divers chiroptères). Si le terrain a abrité un ancien centre médico-scolaire, seuls quelques bâtiments à l’abandon sont encore présents sur celui-ci, qui est aujourd’hui largement boisé et répertorié par le PLU, pour sa partie Nord, comme espace naturel d’un site inscrit en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l'environnement. Dans ces conditions, il ressort de l’ensemble de ces éléments que le terrain d’assiette du projet s’intègre dans une unité paysagère d’ensemble caractérisée notamment par une continuité boisée depuis la zone littorale du lac de Lacanau jusqu’à une ancienne dune boisée, « espace boisé classé », classée en zone Nr. Ainsi, quand bien même une partie du terrain est classée en zone à urbaniser par le PLU, l’ensemble du terrain d’assiette du projet en litige doit être regardé comme un espace naturel remarquable au sens de l’article L. 121-23 du code de l'urbanisme. Par suite, l’association requérante est fondée à soutenir que l’arrêté attaqué méconnaît ces dispositions.

14. En second lieu, aux termes de l’article L. 121-8 du code de l'urbanisme : « L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. / Dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d'urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées, en dehors de la bande littorale de cent mètres, (…) lorsque ces constructions et installations n'ont pas pour effet d'étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d'urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l'urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d'accès aux services publics de distribution d'eau potable, d'électricité, d'assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d'équipements ou de lieux collectifs ».

15. Il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire, en l’absence d’autres précisions apportées à cet égard par un schéma de cohérence territoriale (SCOT) applicable, avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions. En outre, dans les secteurs déjà urbanisés ne constituant pas des agglomérations ou des villages, des constructions peuvent être autorisées en dehors de la bande littorale des cent mètres et des espaces proches du rivage dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, sous réserve que ces secteurs soient identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d'urbanisme, ou, jusqu’au 31 décembre 2021, sous réserve de ne pas avoir pour effet d’étendre le périmètre du bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti, avec accord de l’État et avis de la commission départementale de la nature des paysages et des sites.

16. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d’assiette du projet est distant de plus de trois kilomètres de la station balnéaire de Lacanau-Océan, duquel il est séparé par de vastes étendues naturelles, un golf et de l’habitat diffus, et distant de cinq kilomètres du bourg de Lacanau, duquel il est séparé par le lac de Lacanau. Il est au demeurant séparé du quartier du Moutchic par des étendues boisées classées. S’il est situé en continuité du secteur de Carreyre, ce secteur, composé de trois lotissements peu densément bâtis, ne constitue pas un village ou une agglomération au sens des dispositions précitées, ni d’ailleurs un « secteur déjà urbanisé autre que les agglomérations et villages » au sens du deuxième alinéa de cet article, le secteur en litige n’ayant pas été identifié comme tel par un SCoT applicable au titre de l’article L. 121-3 du code de l'urbanisme. Ainsi, et sans que la commune de Lacanau puisse utilement se prévaloir de décisions du tribunal et de la cour administrative d’appel de Bordeaux rejetant un recours contre le SCoT et jugeant l’orientation d’aménagement et de programmation pour l’aménagement d’un pôle à vocation socio-médicale compatible avec ce schéma, le projet litigieux constitue une extension de l’urbanisation ne s’inscrivant pas en continuité d’une agglomération ou d’un village existant au sens des dispositions précitées. L’association Vive la Forêt est par suite fondée à soutenir que le projet méconnaît les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l'urbanisme.

17. Pour l’application de l’article L. 600‑4‑1 du code de l’urbanisme, aucun autre moyen n’est susceptible de fonder l’annulation de l’arrêté attaqué.

Sur l’application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme :

18. Aux termes de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme : « Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5-1, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixe le délai dans lequel le titulaire de l'autorisation pourra en demander la régularisation, même après l'achèvement des travaux. Le refus par le juge de faire droit à une demande d'annulation partielle est motivé ». Aux termes de l’article L. 600-5-1 du même code: « Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ».

19. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires, que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme dont l’annulation est demandée, sont susceptibles d’être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation. Il invite au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme. Le juge n’est toutefois pas tenu de surseoir à statuer, d’une part, si les conditions de l’article L. 600 5 du code de l’urbanisme sont réunies et qu’il fait le choix d’y recourir, d’autre part, si le bénéficiaire de l’autorisation lui a indiqué qu’il ne souhaitait pas bénéficier d’une mesure de régularisation. Un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même.

20. Les illégalités relevées, qui affectent le projet dans son ensemble, n’apparaissent pas régularisables. En conséquence, les conclusions présentées par la commune de Lacanau la société Moutchic sur le fondement des dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme doivent être rejetées.

21. Il résulte de tout ce qui précède que l’association Vive la Forêt est fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 22 janvier 2021 attaqué, ainsi que de l’arrêté du 28 avril 2022 portant permis de construire modificatif et de la décision implicite née le 20 mai 2021 portant rejet de son recours gracieux.

Sur les frais liés au litige :

22. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’association Vive la Forêt, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que demandent la commune de Lacanau et la société Moutchic au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de l’association des Riverains du lac de Lacanau une quelconque somme sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ni de la faire bénéficier de ces dispositions. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Lacanau et de la société Moutchic la somme de 800 euros chacune au bénéfice de l’association Vive la Forêt sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêté du 22 janvier 2021, l’arrêté du 28 avril 2022 et la décision implicite du 20 mai 2021 sont annulés.

Article 2 : La commune de Lacanau et la société Moutchic verseront chacune la somme de 800 euros à l’association Vive la Forêt au titre des dispositions de l’article L. 761 1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié aux associations Vive la Forêt et des Riverains du lac de Lacanau, à la commune de Lacanau et à la société Moutchic.