Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 17 février 2022 et un mémoire enregistré le 3 mars 2022, la société civile RBF, représentée par la société d’avocats Cabinet Laveissière, demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution, d’une part, de la décision du 11 août 2021 par laquelle l’institut national de l’origine et de la qualité (INAO) lui a réclamé des pièces complémentaires et l’a invitée à présenter ses observations sur une condition de recevabilité de son dossier de candidature au classement du Château Pierre I er en « grand cru classé » dans le classement des crus « Saint-Emilion », d’autre part, de la décision du 30 septembre 2021 de cet institut opposant une irrecevabilité à sa candidature, enfin, de la décision du 17 décembre 2021 rejetant son recours gracieux contre la décision d’irrecevabilité ;

2°) d’enjoindre à l’institut national de l’origine et de la qualité de prononcer la recevabilité de sa candidature, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa demande, en toute hypothèse, dans un délai de quinze jours à compter de l’ordonnance à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l’institut national de l’origine et de la qualité la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société civile RBF soutient que :

- les décisions contestées préjudiciant gravement à ses intérêts dès lors, en premier lieu, que le château Pierre Ier qu’elle exploite avait de grande chance d’obtenir le classement sollicité, son vin, sur lequel de nombreux experts ont une appréciation élogieuse, étant un des plus demandés du marché, en deuxième lieu, qu’elle perd également une chance très sérieuse de voir le prix des bouteilles ainsi que celui du foncier augmenter, enfin, que la commission de classement est sur le point de débuter ses travaux, la condition d’urgence est satisfaite ;

- si elle commercialise les vins qu’elle produit depuis 2013 sous l’appellation Château Pierre Ier, et non comme précédemment sous la marque Château Croix Figeac, c’est pour se conformer à l’arrêt du 30 novembre 2012 de la cour d’appel de Bordeaux qui a prononcé la nullité pour déceptivité des marques Château Croix Figeac et Pavillon Croix Figeac qui lui appartenaient ;

- la condition d’une utilisation régulière du nom du cru au cours des dix dernière années pour le classement « grand cru classé » posée par l’article 4 du règlement concernant le classement des « premiers grands crus classés » et des « grand crus classés » de l’appellation d’origine contrôlée « Saint-Emilion grand cru », condition qui fonde les décisions en litige, manque de base légale dès lors qu’elle repose sur une confusion entre la marque commerciale définie par l’article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle et le « nom du cru », lequel désigne une appellation d’origine contrôlée, étant entendu que la désignation Château Pierre Ier n’est pas le « nom du cru » mais constitue la marque commerciale, et qu’aucun des textes dont se prévaut l’INAO ne définit le « nom du cru » qui ne saurait être confondu avec la « notoriété du vin » telle qu’appréciée conformément à l’article 6 dudit règlement ;

- la circonstance que la condition d’utilisation du nom du cru pendant les dix dernières années était déjà imposée par l’article 5 du règlement antérieur du 16 juin 2011 ne garantit pas sa légalité, alors surtout que ce texte prévoyait un tempérament que le règlement dorénavant applicable, instauré par l’arrêté du 14 mai 2020 du ministre de l’agriculture et de l’alimentation, ne comporte plus ;

- en toute hypothèse, les décisions reposent sur une interprétation restrictive erronée de la condition d’utilisation régulière du nom du cru, qui ne tient pas compte des contraintes juridiques qui peuvent contraindre les candidats et qui sont irrépressibles, le changement de nom ayant été imposé par la cour d’appel de Bordeaux, étant entendu que le cru est identique avant et après 2013 et que l’exploitation est la même depuis 1984 ; - à supposer que le nom de l’exploitation constitue le « nom du cru » visé par l’article 4 du règlement, elle exploitait la propriété sous un nom régulier avant 2013, la marque seule ayant été frappée de nullité ;

- dès lors que la qualité de ses vins n’est pas altérée par le changement de marque et que la condition opposée est impropre à apprécier la notoriété, le texte fondant les décisions est dépourvu de justification ;

- en outre, la différence de nom du cru porte seulement sur trois années sur les dix ans exigés ;

- l’article 4 du règlement impose, en exigeant l’utilisation régulière du nom du cru et ce, pendant une durée déterminée, une condition qui est étrangère aux prescriptions des articles L. 641-6 et suivants du code rural et de la pêche maritime régissant les appellations d’origine contrôlée et qui n’est pas prévue par le décret n° 2011-174 du 11 février 2011 relatif à l’appellation d’origine contrôlée « Saint-Emilion grand cru » et son annexe ;

- le règlement n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ne prévoit pas de condition de régularité du nom du cru, condition qui n’a au demeurant aucun rapport avec les conditions de production et la qualité du vin ;

- en subordonnant le classement recherché à l’absence d’évolution de la marque pendant dix ans, sans aucune justification, l’article 4 du règlement, instauré en réalité par l’INAO, porte atteinte à la liberté du commerce et au droit de propriété qui s’attache à une marque, conféré par l’article L. 713-1 du code de la propriété intellectuelle ;

- la condition opposée, qui impose une durée disproportionnée par rapport aux objectifs énoncés par l’INAO de disqualifier les seconds vins et les noms de repli, et peut conduire à des classements absurdes, crée une rupture d’égalité entre les candidats ;

- les décisions contestées sont entachées d’un défaut de base légale pour être fondées sur une disposition illégale du règlement applicable ;

- les décision en litige sont dépourvues de motivation en fait, en violation des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l’administration.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 février 2022, l’institut national de l’origine et de la qualité (INAO), représenté par la société d’avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation Hélène Didier et François Pinet, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société civile RBF d’une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

L’INAO fait valoir que :

- les conclusions dirigées contre la demande de justificatifs en date du 11 août 2021, qui présente le caractère d’un acte préparatoire, sont irrecevables ;

- aucun des moyens invoqués n’est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des décisions des 30 septembre et 17 décembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le code de la propriété intellectuelle ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le décret n° 2011-174 du 11 février 2011 relatif à l’appellation d’origine contrôlée « Saint-Emilion grand cru » et son annexe ;

- l’arrêté du 14 mai 2020 du ministre de l’agriculture et de l’alimentation relatif au règlement concernant le classement des « premiers grands crus classés » et des « grands crus classés » de l’appellation d’origine contrôlée « Saint-Emilion grand cru » ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. Bayle, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Au cours de l’audience publique du 3 mars 2022, à 14h30, après le rapport, ont été entendues :

- les observations de Me Caroline Laveissière, représentant la société civile RBF, qui a développé les moyens soulevés dans les écrits de cette société ;

- les observations de Me François Pinet, représentant l’institut national de l’origine et de la qualité, qui a repris les moyens en défense invoqués par cet établissement.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions aux fins de suspension et d’injonction :

1. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ».

2. En l’état de l’instruction, aucun des moyens invoqués par la société civile RBF et analysés ci-dessus n’est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité, d’une part, de la lettre du 11 août 2021 de l’institut national de l’origine et de la qualité (INAO) réclamant à cette société des pièces complémentaires et l’invitant à présenter ses observations sur une condition de recevabilité, d’autre part, de la décision du 30 septembre 2021 de cet institut opposant une irrecevabilité à la candidature de la société, enfin, de la décision du 17 décembre 2021 rejetant le recours gracieux de cette dernière contre la décision d’irrecevabilité. Par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner la recevabilité de la requête au fond en tant qu’elle est dirigée contre la lettre du 11 août 2021 et de se prononcer sur la condition d’urgence, les conclusions de la société civile RBF aux fins de suspension doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, sa demande d’injonction.

Sur les conclusions relatives aux frais de l’instance :

3. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’institut national de l’origine et de la qualité, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont la société civile RBF demande le paiement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l’affaire, il y a lieu de mettre à la charge de la société civile RBF la somme de 1 500 euros au profit de l’institut national de l’origine et de la qualité sur ce fondement.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société civile RBF est rejetée.

Article 2 : La société civile RBF versera une somme de 1 500 euros à l’institut national de l’origine et de la qualité.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société civile RBF et à l’institut national de l’origine et de la qualité (INAO).