Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 2 octobre 2017, le 2 décembre 2017 et le 3 février 2018, la société Nordprint, représentée par Me C..., demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler le marché de prestations d’équipement de documents de la bibliothèque municipale conclu le 7 septembre 2017 entre la commune de Bordeaux et la société Rénov’livres ;

2°) de condamner la commune de Bordeaux à lui verser, en réparation du préjudice causé par son éviction illégale, la somme de 14 300 euros assortie des intérêts à compter de la date de notification de sa demande préalable ;

3°) de mettre solidairement à la charge de la commune de Bordeaux et de la société Rénov’livres la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761 1 du code de justice administrative.

Par des mémoires en défense enregistrés le 3 novembre 2017, le 12 janvier 2018 et le 19 février 2018, la société Renov'livres, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la société Nordprint en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2018, la commune de Bordeaux conclut au rejet de la requête.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de l’irrecevabilité des conclusions indemnitaires, pour lesquelles le contentieux n’était pas lié lors de l’introduction de la requête.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Dufour,

- les conclusions de M. Béroujon, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., pour la société Nordprint, et celles de M. B... pour la commune de Bordeaux.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d’appel public à concurrence publié le 31 juin 2017, la commune de Bordeaux a lancé une consultation, selon une procédure adaptée, pour l’attribution d’un marché de plastification des livres de la bibliothèque municipale. La société Nordprint, qui s’était portée candidate, a été informée, par courrier du 7 septembre 2017 du rejet de son offre classée deuxième. La commune et l’entreprise attributaire, la société Renov’livres, ont signé le marché le même jour et l’avis d’attribution a été publié au bulletin officiel des annonces des marchés publics le 15 septembre 2017. La société Nordprint demande au tribunal l’annulation du marché et l’indemnisation du préjudice causé par son éviction.

Sur la contestation de la validité du marché :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles.

3. Selon le cahier des charges, le marché avait pour objet « l’équipement minutieux (couverture) de livres neufs, brochés ou reliés, avec du film plastique adhésif souple ». Le règlement de la consultation précisait que l’offre économiquement la plus avantageuse serait choisie en fonction du prix pondéré à 50 %, de la valeur technique pondérée à 20 %, et de la qualité de la prestation fournie pondérée à 30 %. Le critère de la valeur technique était noté d’après un mémoire méthodologique et technique dont le cadre obligatoire était fourni. Les candidats devaient répondre aux questions suivantes : « En ce qui concerne les moyens humains et matériels : Le candidat propose t-il de dédier un référent particulier à la ville de Bordeaux ? / Le candidat dispose-t-il d’un site en ligne d’accès gratuit permettant la consultation et/ou la commande et/ou le suivi des commandes ? / En ce qui concerne les services : Le candidat assure-t-il une garantie sur les ouvrages plastifiés ? ». Les candidats devaient également indiquer les délais de livraison notamment en cas de commande par courrier et de commande urgente et préciser « leurs démarches en faveur du développement durable dans la chaine logistique du traitement des commandes (ex: conditionnement, transport, dématérialisation, insertion sociale...) ».

4. Il résulte de l’instruction, notamment du courrier, en date du 7 septembre 2017, rejetant l’offre de la société Nordprint qu’elle a obtenu une note de 1 sur 2 au critère de la valeur technique au motif notamment que « l’acheminement des documents par avion rend la démarche en faveur du développement durable très moyenne ». Cette précision ne figurait pas dans l’offre de la société qui la conteste formellement et soutient que la prestation devait être réalisée en France mais elle a été déduite des mentions figurant sur le site internet de la société par le pouvoir adjudicateur. Le pouvoir adjudicateur, en fondant sa note sur des suppositions et non sur les informations données par la société a entaché d’irrégularité la procédure d’attribution du marché.

5. Sur le critère du prix, la société Nordprint a obtenu 5 et la société Rénov’livres 3,82, sur le critère qualité de la prestation, la société Nordprint a obtenu 2,1 et Rénov’livres 3, l’écart entre Nordprint et Rénov’livres était ainsi de 0,28 point en faveur de Nordprint avant la prise en compte du critère technique noté sur 2. Par suite, l’irrégularité commise dans l’appréciation du critère technique a affecté les chances de la société Nordprint d’obtenir le marché en cause et entache d’un vice la validité du contrat passé entre la commune et la société Rénov’livres .

6. Il appartient au juge du contrat, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

7. Le vice se rapportant aux mérites respectifs de la société attributaire et de la société requérante, le principe d’égalité de traitement des candidats a été méconnu. Il ne peut ainsi faire l’objet d’une régularisation. Toutefois, il n’a pas affecté le contenu du contrat, ni le consentement de la personne publique, et il n’est pas d’une particulière gravité. Enfin, il ne résulte pas de l’instruction que des motifs d’intérêt général s’opposeraient à la résiliation du contrat à compter de la notification du jugement. Par suite, il y a lieu de prononcer cette résiliation.

Sur les conclusions indemnitaires :

8. Aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2017 : « Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ». La société Nordprint a demandé à la commune de Bordeaux l’indemnisation du préjudice découlant de son éviction illégale par courrier reçu le 4 octobre 2017 ayant fait naître une décision implicite de rejet le 4 décembre 2017. La requête de la société Nordprint enregistrée le 2 octobre 2017 ne comportait aucune conclusion indemnitaire, ces conclusions n’ayant été présentées que dans un mémoire ultérieur présenté le 3 février 2018. La décision rejetant la demande indemnitaire préalable de la société Nordprint étant intervenue postérieurement à la date d’introduction de la requête, ses conclusions indemnitaires sont irrecevables, en application des dispositions précitées de l’article R. 421-1 du code de justice administrative en dépit du fait que ces conclusions n’ont été présentées que dans un mémoire déposé postérieurement à cette décision de rejet.

Sur les frais de l’instance :

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Nordprint, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Bordeaux et la société Rénov’livres demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Bordeaux le versement à la société Nordprint d’une somme de 1 500 euros à ce titre.

D E C I D E:

Article 1er : Le contrat du 7 septembre 2017 est résilié à compter de la notification du jugement.

Article 2 : La commune de Bordeaux versera à la société Nordprint la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Nordprint, à la commune de Bordeaux et à la société Rénov'livres.