Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés au greffe du tribunal administratif de Bordeaux le 25 mars 2016 et 1er février 2017, Mme B... A…., représentée par la SELARL Chapel-Le Luyer-Floc'h, Me Vincent Le Luyer, avocat au barreau de Brest, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 26 janvier 2016 confirmant celle du 8 juillet 2015 par laquelle la Caisse des dépôts et consignations en sa qualité de gestionnaire du Fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat a annulé sa pension de réversion à effet à compter du 1er janvier 1995 et ordonné la restitution des arrérages de pension perçus entre le 1er janvier 1995 et le 31 juillet 2013 ;

2°) d'enjoindre à la Caisse des dépôts et consignations, à titre principal, de rétablir ses droits à pension à compter du 8 août 2013 ou, à titre subsidiaire, de dire qu'elle ne peut être tenue de reverser les sommes qui auraient été indûment perçues antérieurement au 8 août 2013 ou, en application de l'article L. 93 du code des pensions, que sur la période du 1er janvier 2010 au 31 juillet 2013 ;

3°) de mettre à la charge de la Caisse des dépôts une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Par un mémoire en défense, enregistré le 29 août 2016, la Caisse des dépôts et consignations conclut au rejet de la requête.

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Vu : - les autres pièces du dossier.

Vu : - le code des pensions civiles et militaires de l'Etat ; - le code civil ; - la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ; - le décret n°65-836 du 24 septembre 1965 ; - le décret n° 2004-1056 du 5 octobre 2004 ; - le code de justice administrative.

En application de l'article R. 222-13 du code de justice administrative, le président du tribunal a désigné Mme Prince-Fraysse pour statuer sur les litiges visés audit article.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de Mme Prince-Fraysse, premier conseiller, - les conclusions de Mme Lefebvre-Soppelsa, rapporteur public, - et les observations de Me Vincent Le Luyer pour Mme A...., requérante.

1. Considérant que le Fond spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat, géré par la Caisse des dépôts et consignations, a concédé à Mme A…. une pension de réversion à compter du 1er février 1991, à la suite du décès de son conjoint dû à un accident de service ; que le 9 juillet 2013, dans le cadre d'une enquête sur la situation des bénéficiaires de ses fonds, la Caisse a adressé à la requérante un formulaire de déclaration destiné à mettre à jour sa situation familiale ; que Mme A…. a alors mentionné qu'elle vivait en concubinage notoire depuis le mois de janvier 1995 ; qu'à la réception de cette déclaration, la Caisse a alors suspendu le paiement de la pension de réversion à compter du mois d'août 2013 ; que, par courrier du 8 juillet 2015, l'intéressée a été informée de cette suspension ainsi que de l’annulation de cette pension à compter du 1er janvier 1995 et, par voie de conséquence, du montant du remboursement des sommes, versées sur la période comprise entre le 1er janvier 1995 et le 31 juillet 2013, qui lui serait réclamé ; que, par courrier du 20 juillet 2015, Mme A…. a contesté cette décision ; que, par courrier du 14 août 2015, la Caisse des dépôts a confirmé sa position ; que Mme A…. a, par une requête n° 1505700, demandé l'annulation de la décision du 8 juillet 2015, ensemble l'annulation du rejet de son recours gracieux du 14 août 2015 ; que, par jugement du 24 janvier 2017, il a été partiellement fait droit à cette requête ; que, par la présente requête, Mme A…. demande d'annuler la décision du 26 janvier 2016 confirmant celle du 8 juillet 2015, par laquelle la Caisse des dépôts lui a une nouvelle fois notifié l’annulation de sa pension à compter du 1er janvier 1995 et réclamé le remboursement des sommes versées sur la période du 1er janvier 1995 au 31 juillet 2013 pour un montant de 10 089,50 euros ;

2. Considérant que les droits à pension de réversion s’apprécient au regard de la législation applicable à la date du décès du titulaire de la pension ; que, toutefois, le juge de plein contentieux, lorsqu'il est saisi d'une demande contestant une pension, est tenu de rechercher si de nouvelles dispositions législatives et réglementaires sont en vigueur à la date de son jugement ;

Sur l'annulation et la suspension de la pension de retraite :

3. Considérant que le contentieux des pensions de retraite est un contentieux objectif de pleine juridiction ; qu’il en résulte que les vices propres affectant les décisions contestées sont sans incidence sur la solution du litige ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en cause est, en tout état de cause, inopérant ; 4. Considérant qu'aux termes des dispositions du I de l’article 16 du décret susvisé du 24 septembre 1965 relatif au régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat, applicable à la date du décès du conjoint de Mme A...., survenu le 17 janvier 1991 : « Les veuves (…) ont droit à une pension égale à 50% de la pension obtenue par le mari ou qu’il aurait pu obtenir au jour de son décès (…) » ; qu’aux termes de l'article 20 du même décret : « Le conjoint survivant ou l'ex-conjoint divorcé qui contracte un nouveau mariage, ou vit en état de concubinage notoire, perd son droit à pension (...). Le conjoint survivant ou l'ex-conjoint divorcé, dont la nouvelle union est dissoute, ou qui cesse de vivre en état de concubinage notoire peut, s'il le désire, recouvrer son droit à pension (...) » ; 5. Considérant qu'en application des dispositions citées au point 4, la Caisse des dépôts, informée au mois d'août 2013, de ce que la requérante vivait en concubinage notoire depuis le mois de janvier 1995, était tenue de procéder à l’annulation de cette pension ; que c'est également à bon droit que la Caisse a prononcé la suspension du versement des arrérages de pension à compter du mois d'août 2013, l'union de Mme A…. avec son concubin n'étant pas dissoute ;

6. Considérant que, d’une part, il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe que l’administration soit tenue d’informer personnellement chaque bénéficiaire de leurs droits et obligations et de leur donner une information particulière sur ce qu'ils pourraient éventuellement revendiquer en application des textes législatifs et réglementaires relatifs aux pensions civiles et militaires de retraite, d’autre part, l’ouverture, la restriction ou la suppression des droits qui s’attachent à la qualité de pensionné dépendent d’évènements personnels que le bénéficiaire est seul habilité à divulguer et il lui appartient, dès lors, de prendre l’initiative d’informer le service débiteur de sa pension des changements de situation ayant une incidence sur ses droits ;

7. Considérant que la circonstance que le décès de son conjoint, survenu au cours de l’année 1991, soit dû à une faute inexcusable de l’Etat est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée en ce qui concerne l'annulation et à la suspension de sa pension ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de Mme A…. tendant à l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle annule et suspend ses arrérages de pension ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur la restitution des arrérages :

9. Considérant que la décision attaquée du 26 janvier 2016 mentionne que les "sommes indûment versées pour la période du 1er janvier 1995 au 31 juillet 2013 s'élèvent à 10 089,50 euros" et que "les modalités de remboursement de cette somme seront ultérieurement spécifiés "; qu'elle doit être regardée comme tendant au remboursement des arrérages ainsi versés sur la période précitée ;

10. Considérant qu’ainsi qu’il a été dit, Mme A…. tirait son droit au bénéfice des arrérages d'une pension de réversion des dispositions du décret susvisé du 24 septembre 1965 qui lui étaient applicables à la date du décès de son conjoint ; que la seule et unique disposition de ce décret qui prévoit la restitution des sommes payées indûment résulte de son article 25 lequel dispose que : « la restitution des sommes payées indûment au titre de la pension supprimée est exigible lorsque l’intéressé était de mauvaise foi » ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que tel soit le cas ; qu’au regard des dispositions précitées régissant spécifiquement le régime des pensions des ouvriers de l'Etat, la Caisse des dépôts ne peut se prévaloir, dans ses écritures, des dispositions générales du code civil relatives aux délais de prescription extinctive, notamment celles des articles 2224 qui prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ou de celles de l’article 2232 selon lequel le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, pour fonder sa demande de restitution des arrérages de pension sur la période comprise entre le 1er janvier 1995 et le 31 juillet 2013, alors que seules les dispositions spéciales du décret susvisé du 24 septembre 1965 sont applicables qui prévoient la restitution des sommes indues en cas de mauvaise foi de l’intéressée, ainsi qu’il a été dit ; que la Caisse ne pouvait donc pas solliciter le remboursement des sommes indûment perçues à compter du 1er janvier 1995 ;

11. Mais, considérant que les dispositions du décret du 24 septembre 1965 ont été modifiées par celles du décret susvisé du 5 octobre 2004 relatif au régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l’Etat qui prévoit en son article 35 que : « La restitution des sommes payées indûment au titre des pensions, (…) est réglée conformément aux dispositions de l'article L. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite.(…) » ; qu’aux termes de l’article L. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite : « Sauf le cas de fraude, omission, déclaration inexacte ou de mauvaise foi de la part du bénéficiaire, la restitution des sommes payées indûment au titre des pensions, de leurs accessoires ou d'avances provisoires sur pensions, attribués en application des dispositions du présent code, ne peut être exigée que pour celles de ces sommes correspondant aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle le trop-perçu a été constaté et aux trois années antérieures. » ; que ces dispositions sont entrées en vigueur au 1er janvier 2004 ; que si l'abstention de Mme A…. n’est pas constitutive de mauvaise foi, elle relevait cependant de l’omission au sens de l’article L. 93 précité du code des pensions civiles et militaires de retraite ; que les délais prescrits par cet article ne trouvent donc pas à s’appliquer ;

12. Considérant, toutefois, que si la restitution des sommes en cause ne peut être réglée conformément à l'article L. 93 du code des pensions civiles et militaires de l’Etat ainsi qu’il a été dit, et si aucune disposition légale ne permet de limiter à une période donnée les effets d'une éventuelle condamnation à restituer les sommes indûment perçues, il ressort des travaux parlementaires relatifs à la loi susvisée du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile que cette dernière répond à un impératif de sécurité juridique en sanctionnant la négligence du titulaire d’un droit et en faisant obstacle à que des situations juridiques puissent être remises en cause sans condition de délai alors qu’elles ont été consolidées par l’effet du temps ; qu’il ressort de ces mêmes travaux que le délai dans lequel le titulaire d’un droit, resté trop longtemps inactif, peut agir sous peine d’être réputé avoir renoncé à ce droit peut être fixé à cinq ans ; que ce délai est applicable au litige en cause ; que, par voie de conséquence, et eu égard à ce qui a été précédemment dit, la Caisse des dépôts ne peut solliciter les versements des arrérages de pension perçus par Mme A.... sur la seule période comprise entre le 1er janvier 2008 au 31 juillet 2013 ;

13. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la Caisse ne peut légalement solliciter que le remboursement des arrérages de pensions qui ont été versés que pour la seule et unique période citée au point précédent ; que l'état du dossier ne permettant pas de chiffrer les sommes dues par Mme A…. sur cette période, il y a lieu de renvoyer la requérante devant la Caisse des dépôts et consignations en sa qualité de gestionnaire du Fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat pour être procédé à la liquidation de ces sommes ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

14. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'injonction présentées par l’intéressée tendant au rétablissement de ses droits à pension à compter du 8 août 2013 ne peuvent qu’être rejetées dès lors qu’il n’est pas établi que son concubinage, à la date du présent jugement, a cessé ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du de la Caisse des dépôts une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme A.... et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Mme A…. est renvoyée devant la Caisse des dépôts et consignations en sa qualité de gestionnaire du Fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat pour être procédé à la liquidation des sommes à rembourser sur la période comprise entre le 1er janvier 2008 au 31 juillet 2013 ;

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : La caisse des dépôts versera à Me A.... une somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4: Le présent jugement sera notifié à Mme B... A…. et à la Caisse des dépôts.