Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 3 mars 2016, M. D..., représenté par Me Lucile Hugon, avocate, demande au tribunal :

1°) d’annuler l'arrêté n° 201511023 du préfet de la Gironde portant retrait de son permis de conduire français qui avait été échangé contre son permis de conduire sahraoui, reçu le 18 novembre 2015 ;

2°) d’enjoindre au préfet de la Gironde, sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans un délai de 15 jours suivant la notification du jugement, de lui restituer son permis de conduire français, ou à défaut de réexaminer sa situation dans le même délai sous la même astreinte et de lui délivrer durant cet examen un récépissé l'autorisant à conduire ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 807 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

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Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2016, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête, en faisant valoir qu'aucun des moyens soulevés ne permet l'annulation de la requête.

M. C...a été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision du 20 janvier 2016 du tribunal de grande instance de Bordeaux.

Vu : - la décision attaquée ; - les autres pièces du dossier ;

Vu : - le code de la route ; - la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; - la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ; - l'arrêté du 12 janvier 2012 ; - le code de justice administrative ;

Vu, en application de l'article R. 222-13 du code de justice administrative, la décision par laquelle le président du tribunal a désigné Mme Liotet, première conseillère, pour statuer sur les litiges visés audit article ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Liotet, première conseillère, - et M. Béroujon, rapporteur public.

1. Considérant que M.C..., d'origine sahraouie, entré en France le 13 juillet 2013, a obtenu le statut de réfugié le 13 novembre 2014 ; qu'il a obtenu un titre de séjour portant la mention « réfugié indéterminé d'origine sahraouie », qui lui a été remis le 16 février 2015 et dont la validité expirera le 15 février 2025 ; qu'il a sollicité du préfet de la Gironde l'échange de son permis de conduire sahraoui, délivré le 25 avril 2011 par la république Arabe Sahraouie Démocratique, contre un permis français ; qu'après avoir accepté l'échange de permis, le préfet de la Gironde s'est aperçu qu'il n'avait pas été délivré par un Etat reconnu par les instances internationales, ce qui est le cas de la France notamment, et qu'en conséquence il ne pouvait pas être échangé ; que M. C...demande l'annulation de l'arrêté n° 201511023 du préfet de la Gironde portant retrait de son permis de conduire français, reçu le 18 novembre 2015 ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 222-3 du code de la route : « Tout permis de conduire national, en cours de validité, délivré par un Etat ni membre de la Communauté européenne, ni partie à l'accord sur l'Espace économique européen, peut être reconnu en France jusqu'à l'expiration d’un délai d’un an après l'acquisition de la résidence normale de son titulaire. Pendant ce délai, il peut être échangé contre le permis français, sans que son titulaire soit tenu de subir les examens prévus au premier alinéa de l'article R. 221-3. Les conditions de cette reconnaissance et de cet échange sont définies par arrêté du ministre chargé des transports, après avis du ministre de la justice, du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des affaires étrangères. Au terme de ce délai, ce permis n'est plus reconnu et son titulaire perd tout droit de conduire un véhicule pour la conduite duquel le permis de conduire est exigé. » ; qu'aux termes de l'article 5 de l'arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d’échange des permis de conduire délivrés par les Etats n’appartenant ni à l'Union européenne ni à l'Espace Economique Européen : « I. ― Pour être échangé contre un titre français, tout permis de conduire délivré par un Etat n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen doit répondre aux conditions suivantes : / A. ― Avoir été délivré au nom de l'Etat dans le ressort duquel le conducteur avait alors sa résidence normale, sous réserve qu'il existe un accord de réciprocité entre la France et cet Etat conformément à l'article R. 222-1 du code de la route. (…)/ D. ― Etre rédigé en langue française ou traduit par un traducteur habilité à intervenir auprès des autorités judiciaires ou administratives françaises. (...) » ;

3. Considérant que, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ; qu’un acte administratif obtenu par fraude ne crée pas de droits et peut, par suite, être retiré ou abrogé par l'autorité compétente pour le prendre, alors même que le délai de retrait de droit commun est expiré ; qu’il incombe à l’administration d’apporter la preuve de la fraude qu’elle allègue ; que lorsqu’un acte administratif est entaché d’une illégalité commise en toute connaissance de cause par un agent de l’administration au mépris de la règlementation en vigueur, celui-ci est nul et non avenu et ne fait, par conséquent, naître aucun droit au profit de l’intéressé ; que, dans un tel cas, l’administration est tenue de procéder à tout moment au retrait de cet acte inexistant ;

4. Considérant que la décision par laquelle un préfet procède à l’échange d’un permis de conduire étranger contre un permis de conduire français présente le caractère d’une décision individuelle créatrice de droits pour son bénéficiaire, même si l’administration a accordé cet échange par erreur, sauf si cet échange est intervenu à la suite d’une fraude du bénéficiaire ou d’une indélicatesse d’un agent de l’administration ; qu’eu égard aux stipulations de l’article 25 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, la procédure prévue à l’article 11 de l’arrêté du 8 février 1999 pour authentifier un titre de conduite étranger n’est pas applicable à une personne à qui a été reconnue la qualité de réfugié, demandant l’échange d’un titre délivré dans son Etat d’origine ; que ces stipulations ne font en revanche pas obstacle à ce que les autorités françaises refusent cet échange, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, au motif qu’elles ont établi elles-mêmes l’inauthenticité du titre ;

5. Considérant qu'il ne ressort pas clairement des pièces du dossier et notamment du rapport technique de l’agent de police judiciaire analyste en fraude documentaire et identité, que le permis de conduire sahraoui présenté par M. C...pour obtenir un titre français serait un faux, dès lors que, s’il est mentionné dans la rubrique « observations » que son examen technique montre qu'il ne comporte ni filigranes ni fibres réactives aux UV, que le fond d’impression et les mentions fixes sont imprimés au laser ou offset de mauvaise qualité, que la personnalisation est manuscrite et la photo légalisée par un timbre humide illisible, que le timbre fiscal est très réactif sous UV et qu’il n’y a pas de film de sécurité, toutefois, il apparaît que les cases relatives à un faux document ne sont pas cochées dans le paragraphe relatif aux résultats de l’analyse de ce document ; qu’ainsi, il en résulte que le ministre n’établit pas avec certitude que le requérant aurait obtenu son permis de conduire français par fraude à partir d'un faux permis étranger ; que la décision de retrait du ministre a été prise au-delà du délai de quatre mois suivant la date d’échange du permis de conduire sahraoui de M.C... ; que par suite, la décision attaquée doit être annulée ;

6. Considérant que l'arrêté n° 201511023 du préfet de la Gironde portant retrait du permis de conduire français de M.C..., qui avait été échangé contre son permis de conduire sahraoui, doit être annulé ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : « lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution » ;

8. Considérant que le présent jugement implique que le préfet de la Gironde restitue son permis de conduire français à M.C..., dans le délai d’un mois suivant la notification du jugement ; que dans les circonstances de l’espèce, cette injonction ne sera assortie d’aucune astreinte ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

9. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat, en application de ces dispositions, la somme de 1 200 euros à verser au conseil du requérant, sous réserve de renoncer à percevoir le bénéfice de l’aide juridictionnelle ; que ces dispositions font obstacle à ce que mis à la charge de M.C..., qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, le paiement de la somme demandée par le préfet de la Gironde au titre des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêté n° 201511023 par lequel le préfet de la Gironde a retiré le permis de conduire français de M.C..., qui avait été échangé contre son permis de conduire sahraoui, doit être annulé.

Article 2 : L’Etat versera au conseil de M. C...une somme de 1 200 euros (mille deux cents euros), sous réserve de renoncer à percevoir le bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. D... et au préfet de la Gironde.