Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés au greffe du tribunal administratif de Bordeaux, les 19 janvier 2012, 20 février 2013 et 3 avril 2013, l’entreprise H... Publicité, représentée par le cabinet Palmier & Associés, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision du 18 novembre 2011 par laquelle la commune d’Eysines a décidé de résilier le marché portant sur la mise à disposition, l’installation, l’entretien et la maintenance de mobiliers urbains publicitaires et non publicitaires ;

2°) de condamner la commune d’Eysines à lui verser une somme de 8 573,09 euros par an à titre d’indemnité ;

3°) de mettre à la charge de la commune d’Eysines une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 juin 2012, 12 mars 2013 et 29 septembre 2014, la commune d'Eysines, représentée par la SCP Guillemoteau-Bernadou-Raffy, conclut au rejet de la requête, à ce que l’entreprise H... Publicité soit condamnée à verser une somme de 1 071 000 euros en application de l’article 10 du cahier des clauses administratives particulières du marché et à ce que soit mise à la charge de cette société une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 77-699 du 27 mai 1977 modifié approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de Mme Lipsos, conseiller,

- les conclusions de M. Basset, rapporteur public,

- les observations du cabinet Palmier & Associés, avocat de l’entreprise H... Publicité,

- et les observations de la SCP Guillemoteau-Bernadou-Raffy, avocate de la commune d'Eysines, en présence de Mme A...F..., directrice des affaires juridiques de la commune, de Mme D...B..., directrice de cabinet et de Mme C...E..., chargée de communication, de la commune d’Eysines.

Une note en délibéré présentée pour la société H... Publicité a été enregistrée le 15 avril 2015.

1. Considérant que par un contrat du 31 décembre 2008, la commune d’Eysines a conclu avec l’entreprise H... Publicité un marché public portant sur la mise à disposition, l’installation, l’entretien et la maintenance de mobiliers publicitaires et non publicitaires ; qu’en raison de la défaillance de l’entreprise H... Publicité, portant sur l’installation de quatre panneaux publicitaires et le raccordement de quatre journaux électroniques, la commune d’Eysines a mis en demeure, le 14 avril 2011, l’entreprise H... Publicité d’installer cinq mobiliers d’information municipale et de raccorder les quatre journaux électroniques ; que par une décision du 16 novembre 2011, la commune d’Eysines a décidé de prononcer la résiliation du marché conclu pour faute sans versement d’indemnités avec effet au 15 juin 2012 ; que par la présente requête, la société H... Publicité, venant aux droits de l’entreprise H... Publicité, demande au tribunal le versement d’une somme de 8 573,09 euros à titre d’indemnité ; que, la commune d’Eysines demande, à titre reconventionnel, la condamnation de la société H... Publicité à lui verser une somme de 1 071 000 euros en application de l’article 10 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché ;

Sur la validité du marché :

2. Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu’ainsi, lorsque le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard, d’une part, à la gravité de l’illégalité et, d’autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ;

3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 5215-20-1 du code général des collectivités territoriales : « I.-Les communautés urbaines existant à la date de promulgation de la loi n° 99 586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale continuent d'exercer à titre obligatoire, au lieu et place des communes membres, les compétences suivantes : / (…) / 11° Voirie et signalisation ; »

4. Considérant que la compétence voirie et stationnement appartient à la communauté urbaine de Bordeaux, créée le 1er janvier 1968, en application de l’article 3 de la loi du 31 décembre 1966 relative aux communautés urbaines, dont le périmètre inclut la commune d’Eysines ; que toutefois, une telle compétence relative à la gestion du domaine public routier d’une agglomération, notamment la circulation routière, à l’exception de la police de la circulation, ne s’étend pas à l’objet analysé au point 1 relatif au mobilier urbain publicitaire ou non publicitaire permettant l’affichage d’informations municipales, d’information de nature historique, touristique, commerciale et industrielle ainsi que le guidage des utilisateurs en vue de répondre aux besoins des habitants de la commune d’Eysines ; que, par suite, et contrairement à ce que fait valoir la société requérante, la communauté urbaine de Bordeaux (CUB) n’était pas compétente pour passer le marché litigieux portant sur des éléments de mobilier urbain implantés sur le territoire de la commune d’Eysines ;

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que fait valoir la société H... Publicité, le marché litigieux n’est pas entaché de nullité ; que, par suite, le litige peut être réglé sur le terrain contractuel ; Sur les conclusions indemnitaires :

6. Considérant que le juge du contrat, saisi par une partie d’un litige relatif à une mesure d’exécution d’un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité ; que, toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d’une telle mesure d’exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles ; qu’en l’absence de conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles, il lui appartient de rechercher si la résiliation est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité ;

7. Considérant, en premier lieu, qu’à les supposer établies, les irrégularités invoquées par l’entreprise requérante tirées de ce que la décision de résiliation a été prise par une autorité incompétente et de ce que cette décision a été prise à l’issue d’une procédure irrégulière, sont, par elles-mêmes, dépourvues de lien de causalité avec le préjudice allégué résultant de la décision de résiliation ;

8. Considérant, en deuxième lieu, d’une part, qu’aux termes de l’article 4 du CCAP applicables au marché litigieux : « Le mobilier urbain se trouvant majoritairement sur le domaine communautaire, le prestataire retenu est tenu, avant toute implantation, de faire les démarches nécessaires afin d’obtenir les autorisations de la communauté urbaine de Bordeaux, en sa qualité de propriétaire et de gestionnaire du domaine public communautaire, notamment la demande d’autorisation d’occupation temporaire (AOT) du domaine public routier par permission de voirie. Cette autorisation est assortie de l’autorisation d’exécution des travaux (AET) portant prescriptions techniques d’ouverture et de réfection du site, prescriptions auxquelles le prestataire devra se conformer. » ; que selon l’article 7 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) relatif à l’objet de la fourniture : « (…) / Le titulaire fournira : / 32 mobiliers publicitaires d’information municipale double face format 2m² (voir descriptif article 12 ci-après) / 5 mobiliers non publicitaires d’information municipale double face format 2m² (voir descriptif article 13 ci-après) / 4 journaux Electroniques d’information (voir descriptif article 14 ci-après) » ; que l’article 8-3 stipule : « (….) / L’application du présent marché ne vaut pas autorisation d’occupation du domaine public. / Le mobilier urbain se trouvant majoritairement sur le domaine communautaire, le prestataire retenu est tenu, avant toute implantation, de faire les démarches nécessaires afin d’obtenir les autorisations de la communauté urbaine de Bordeaux, en sa qualité de propriétaire et de gestionnaire du domaine public communautaire, notamment la demande d’autorisation d’occupation temporaire (AOT) du domaine public routier par permission de voirie. / Cette autorisation est assortie de l’autorisation d’exécution des travaux (AET) portant prescriptions techniques d’ouverture et de réfection du site, prescriptions auxquelles le prestataire devra se conformer. / La signature du marché avec le prestataire retenu est subordonnée à l’obtention de toutes ces autorisations de la CUB. / Comme il a été précisé précédemment, le choix des emplacements des mobiliers urbains souhaités par la Ville d’Eysines ne pourra définitivement être arrêté qu’après accord de la communauté urbaine de Bordeaux (CUB) en sa qualité de propriétaire et de gestionnaire du domaine public routier. / La liste des emplacements ayant obtenu l’accord de la CUB sera transmise à la Ville par le titulaire dès l’accord de la CUB et jointe en annexe du présent marché. / (…) / D’un commun accord entre le titulaire, la Ville d’Eysines et la communauté urbaine de Bordeaux (CUB), les implantations pourront être revues. S’agissant des mobiliers à installer ultérieurement, les lieux d’implantation seront définis également en accord avec la Ville d’Eysines et la CUB (…). » ; que selon l’article 2 du CCTP le délai de mise en place était de deux mois ;

9. Considérant qu’il résulte de ces stipulations que, d’une part, le choix des emplacements des mobiliers urbains souhaités par la commune d’Eysines, figurant en annexe du CCTP, ne pouvait définitivement être arrêté qu’après accord de la CUB, et que la liste des emplacements ayant obtenu cet accord devait être transmise, dès sa délivrance, à la commune par le titulaire et que, d’autre part, d’un commun accord entre le titulaire, la commune et la CUB, les implantations pouvaient être revues ; qu’il appartenait ainsi à la société H... Publicité, chargée de demander les autorisations, de transmettre à la commune la liste des emplacements ayant obtenu un accord, ce qui impliquait nécessairement ensuite, en accord avec la commune, puis avec la CUB, de trouver de nouveaux emplacements pour ceux n’ayant pas obtenu d’accord ;

10. Considérant qu’il résulte de l’instruction que par une délibération du 11 août 2011, notifiée le 29 août suivant, la CUB a octroyé 38 AOT à la société H... Publicité en se fondant sur la liste d’emplacements annexée au CCTP ; que, dans ces conditions, la commune ne peut sérieusement s’appuyer sur le procès-verbal d’huissier du 31 août suivant, qu’elle produit, établi en fonction d’une liste d’emplacements différents, et selon lequel cinq emplacements ne disposent pas de mobilier urbain, en indiquant que ce procès-verbal tient compte de la liste définitive des emplacements ayant obtenu l’accord de la CUB ; que, toutefois, il résulte des propres écritures de la société requérante que les emplacements n°s 6 et 21 figurant sur la liste susmentionnée de la délibération de la CUB ne disposent pas de mobilier urbain ; que si la société se prévaut des circonstances que l’emplacement n° 6 a dû être démonté et que le mobilier urbain qui était auparavant à l’emplacement n° 21 a causé un accident elle n’établit ni même n’allègue avoir effectué les démarches nécessaires afin de rechercher deux nouveaux emplacements pour des mobiliers urbains, en accord avec la commune ; qu’alors que l’ensemble du mobilier urbain devait être installé au 6 mars 2009, il résulte de l’instruction qu’au 28 juillet 2010, soit plus d’un an après cette date, six emplacements, pour lesquels une AET avait été délivrée étaient vides ainsi qu’un septième, en raison de l’absence de demande d’AET ;

11. Considérant, d’autre part, que, selon l’acte d’engagement du marché, le délai de mise en place des quatre journaux électroniques était de 90 jours ; qu’aux termes de l’article 8-2 du CCTP relatif aux travaux : « Le titulaire réalise les opérations suivantes : / (…) / Tous travaux de raccordements aux réseaux » ; que l’article 9 relatif aux « emplacements, accès, réseaux » ajoute : « (…) S’agissant des mobiliers supportant pour partie des faces publicitaires devant avoir recours à une installation électrique permanente, les démarches, frais de raccordement et d’abonnement sont à la charge du titulaire (frais de consommation électrique compris). (...). »

12. Considérant qu’il est constant qu’aucun des quatre journaux électroniques prévus au marché n’a été raccordé au réseau électrique ; que si la société se prévaut, s’agissant de deux journaux électroniques, d’une attente d’acceptation d’un devis ERDF aux fins de raccordement et de la circonstance qu’il appartenait à la commune d’Eysines d’installer les compteurs ERDF, il résulte des stipulations précitées qu’il incombait à la seule société requérante d’installer les compteurs électriques ; que, s’agissant du journal électronique situé avenue de la Libération, à supposer même que de gros travaux d’installation aient été nécessaires, comme l’indique la société H... Publicité, de tels travaux résultaient nécessairement de son obligation contractuelle d’installation des journaux électroniques ; que, s’agissant du quatrième journal électronique, si la société requérante fait valoir qu’il a été déplacé à la demande de la commune, elle n’établit pas qu’à compter de cette demande, le 28 juillet 2010, et jusqu’au 14 avril 2011, date de la mise en demeure qui lui a été adressée, elle aurait été dans l’impossibilité de l’installer ; que les trois premiers journaux devaient être installés au 6 avril 2009, conformément aux stipulations contractuelles ;

13. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les manquements susmentionnés de la société à ses obligations contractuelles doivent être regardés comme établis ; qu’ils sont de nature, à eux seuls, à caractériser une faute grave susceptible de justifier la résiliation du contrat à ses torts et frais exclusifs ; que, par suite, la société requérante n’est pas fondée à solliciter la réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de la mesure de sanction en cause ;

Sur les conclusions reconventionnelles de la commune d’Eysines :

14. Considérant qu’aux termes de l’article 10 du CCAP relatif aux pénalités de retard : « (…) Par dérogation à l’article 11.1 du CCAG FCS, le titulaire est redevable à la Ville d’une pénalité de 150 euros par jour de retard dans l’installation du mobilier défini au CCTP et ceci par mobilier. Les pénalités seront dues dans la mesure où la faute incombe au titulaire. / Cette pénalité journalière dérogatoire de 150 euros est également applicable par jour de retard dans la dépose du mobilier défini au CCTP et ceci par mobilier. / Cette pénalité journalière dérogatoire de 150 euros est également applicable pour tout défaut d’exécution d’une prestation prévue dans le présent marché après mise en demeure. » ;

15. Considérant qu’il est loisible au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de modérer ou d’augmenter les pénalités de retard résultant du contrat, par application des principes dont s’inspire l’article 1152 du Code civil, si ces pénalités atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché ; qu’il résulte de l’instruction que les recettes attendues pour le marché litigieux, conclu pour une durée de dix ans, sont d’un montant de 290 309,74 euros HT ; que les pénalités infligées, égales à 1 071 000 euros, soit 368,91% des recettes attendues, atteignent un montant manifestement excessif ; qu’il y a lieu, par suite, de les modérer, dans les circonstances de l’espèce, à la somme de 58 000 euros, soit environ 20% des recettes attendues ;

16. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune d’Eysines est fondée à demander la condamnation de la société H... Publicité à lui verser la somme de 58 000 euros au titre des pénalités de retard ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de rejeter les conclusions croisées des parties présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SOCIETE H... PUBLICITE est rejetée.

Article 2 : La SOCIETE H... PUBLICITE est condamnée à verser à la commune d’Eysines la somme de 58 000 euros au titre des pénalités prévues au marché.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune d’Eysines est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la SOCIETE H... PUBLICITE et à la Commune d'Eysines.