Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 12 mars et 13 septembre 2021, l’association Défense des milieux aquatiques demande au tribunal dans le dernier état de ses écritures d’annuler le refus d’abroger l’arrêté du 4 septembre 2020 par lequel la préfète de la Gironde a règlementé l’exercice de la pêche en eau douce en tant qu’il autorise la pêche professionnelle et amateure aux filets au détriment de l’esturgeon, du saumon, de l’alose et de la lamproie marine.

Elle soutient que :

- sa requête, qui n’est pas tardive, est recevable ;

- l’arrêté méconnaît les dispositions de l’article L. 431-16 du code de l’environnement ; l’arrêté est entaché d’un vice de procédure dès lors qu’aucune évaluation des incidences en application des I, III et VI de l’article L. 414-4 du code de l’environnement n’a été conduite ; l’article R. 414-19 du code de l’environnement prévoit au 21° du I que sont considérées comme un document de planification, programme ou projet, manifestation et intervention devant faire l’objet d’une telle évaluation au sens du 1° du III de l’article L. 414-4 du même code, les occupations d’une dépendance du domaine public d’une personne publique soumise à autorisation au titre de l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques lors que la dépendance occupée est localisée, en tout ou partie, en site Natura 2000 ;

- il méconnaît les dispositions de l’article L. 431-16 du code de l’environnement dès lors qu’il autorise nécessairement la détention d’engins de pêche interdits pour la pêche du saumon et de l’esturgeon ;

- il méconnaît les dispositions de l’article L. 411-1 du code de l’environnement dès lors que les esturgeons sont accidentellement piégés par les engins de pêche ;

- il méconnaît le principe de précaution prévu à l’article 5 de la Charte de l’environnement et à l’article L. 110-16 du code de l’environnement dès lors qu’il autorise la pêche des lamproies marines ;

- il méconnaît l’article R. 436-45 du code de l’environnement dès lors qu’aucune limite de captures de lamproies n’est fixée ;

- il est entaché d’un vice de procédure dès lors que le conseil national de protection de la nature n’a pas été saisi pour la capture des lamproies ;

- la lamproie marine est protégée en tant qu’élément utilisé pour la reproduction de la grande mulette de sorte qu’une dérogation devait être instruite conformément au 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ;

- l’arrêté méconnaît les dispositions de l’article R. 4241-9 du code des transports dès lors que l’utilisation de filets constitue un danger pour la sécurité des autres usagers.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 juillet 2021, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir :

- à titre principal que la requête est irrecevable car tardive ;

- à titre subsidiaire qu’aucun des moyens soulevés n’est fondé.

Par ordonnance du 23 juillet 2021, la clôture d’instruction a été fixée en dernier lieu au 28 septembre 2021.

Un mémoire présenté pour la préfète de la Gironde a été enregistré le 8 octobre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte de l’Environnement ;

- le code de l’environnement ;

- le code des transports ;

- l’arrêté du 20 décembre 2004 relatif à la protection de l’esturgeon ;

- l’arrêté du préfet de la Gironde du 12 juin 2013 portant inventaire des frayères ;

- l’arrêté du 20 novembre 2014 portant désignation du site Natura 2000 vallée de la Dronne de Brantôme à sa confluence avec l’Isle (zone spéciale de conservation) ;

- l’arrêté du 27 octobre 2015 portant désignation du site Natura 2000 vallée de l’Isle de Périgueux à sa confluence avec la Dordogne (zone spéciale de conservation) ;

- l’arrêté du 27 octobre 2015 portant désignation du site Natura 2000 la Dordogne (zone spéciale de conservation) ;

- l’arrêté du 5 avril 2016 portant désignation du site Natura 2000 la Garonne (zone spéciale de conservation) ;

- l’arrêt n°C-221-04 rendu le 18 mai 2006 par la 2ème chambre de la cour de justice des communautés européennes ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Bongrain,

- les conclusions de M. Naud, rapporteur public,

- les parties n’étant ni présentes, ni représentées.

Une note en délibéré présentée par l’association Défense des milieux aquatiques a été enregistrée le 28 avril 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 4 septembre 2020, la préfète de la Gironde a règlementé l’exercice de la pêche en eau douce. Les rivières Garonne, Dordogne, Isle et Dronne sont classées zones spécifiques de protection Natura 2000 par les arrêtés ministériels des 20 novembre 2014, 27 octobre 2015 et 5 avril 2016 pour la protection de la lamproie marine, du saumon atlantique, de la grande alose ainsi que pour la Dordogne et la Garonne de l’esturgeon. L’association Défense des milieux aquatiques demande l’annulation du refus d’abroger l’arrêté du 4 septembre 2020.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la préfète de la Gironde :

2. L’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenue d’y déférer soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. Par lettre reçue le 11 janvier 2021, l’association Défense des milieux aquatiques a demandé à la préfète de la Gironde l’abrogation de son arrêté du 4 septembre 2020 portant règlementation de la pêche en eau douce en tant qu’il autorise la pêche aux engins et aux filets. L’association requérante demande l’annulation pour excès de pouvoir du refus implicite opposé à cette demande. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté d’un recours en annulation dirigé contre l’arrêté du 4 septembre 2020 ne peut qu’être écartée.

Sur les conclusions à fin d’abrogation :

3. Le contrôle exercé par le juge administratif sur un acte qui présente un caractère réglementaire porte sur la compétence de son auteur, les conditions de forme et de procédure dans lesquelles il a été édicté, l’existence d’un détournement de pouvoir et la légalité des règles générales et impersonnelles qu’il énonce, lesquelles ont vocation à s’appliquer de façon permanente à toutes les situations entrant dans son champ d’application tant qu’il n’a pas été décidé de les modifier ou de les abroger.

4. Le juge administratif exerce un tel contrôle lorsqu’il est saisi, par la voie de l’action, dans le délai de recours contentieux. En outre, en raison de la permanence de l’acte réglementaire, la légalité des règles qu’il fixe, comme la compétence de son auteur et l’existence d’un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment, de telle sorte que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales que cet acte est susceptible de porter à l’ordre juridique.

5. Après l’expiration du délai de recours contentieux, une telle contestation peut être formée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure prise pour l’application de l’acte réglementaire ou dont ce dernier constitue la base légale. Elle peut aussi prendre la forme d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d’abroger l’acte réglementaire, comme l’exprime l’article L. 243-2 du code des relations entre le public et l’administration aux termes duquel : « L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé ». Si, dans le cadre de ces deux contestations, la légalité des règles fixées par l’acte réglementaire, la compétence de son auteur et l’existence d’un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n’en va pas de même des conditions d’édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’acte réglementaire lui-même et introduit avant l’expiration du délai de recours contentieux.

6. Il résulte de ce qui précède que l’association requérante ne peut utilement invoquer, à l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du refus d’abroger l’arrêté du 4 septembre 2020, les moyens tirés respectivement de l’absence de réalisation d’une évaluation des incidences, de l’absence de saisine du conseil national de protection de la nature et de l’absence de dérogation à la protection dont bénéficie la grande mulette.

En ce qui concerne l’autorisation d’utiliser des engins et filets susceptibles d’être utilisés pour la pêche du saumon et de l’esturgeon :

7. Aux termes de l’article L. 436-16 du code de l’environnement : « Est puni de six mois d'emprisonnement et de 50 000 € d'amende, lorsque les espèces concernées sont l'anguille européenne (anguilla anguilla), y compris le stade alevin, l'esturgeon européen (acipenser sturio) et le saumon atlantique (salmo salar), le fait: / 1o De pêcher ces espèces dans une zone ou à une période où leur pêche est interdite; / 2o D'utiliser pour la pêche de ces mêmes espèces tout engin, instrument ou appareil interdit ou de pratiquer tout mode de pêche interdit pour ces espèces; / 3o De détenir un engin, instrument ou appareil utilisable pour la pêche de ces mêmes espèces à une période et dans une zone ou à proximité immédiate d'une zone où leur pêche est interdite, à l'exclusion de ceux entreposés dans des locaux déclarés à l'autorité administrative; / 4o De vendre, mettre en vente, transporter, colporter ou acheter ces mêmes espèces, lorsqu'on les sait provenir d'actes de pêche effectués dans les conditions mentionnées au 1o (…) ».

8. L’association requérante soutient que l’arrêté en litige méconnaît les dispositions précitées de l’article L. 436-16 du code de l’environnement dès lors qu’il autorise la pêche aux filets alors que les filets de type araignée, tramail et verveux sont susceptibles d’être utilisés pour la pêche de l’esturgeon et du saumon. Or l’arrêté en litige n’autorise ni la pêche de l’esturgeon, ni celle du saumon de sorte que l’association requérante ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions.

En ce qui concerne la méconnaissance des dispositions de l’article R. 4241-19 du code des transports :

9. Aux termes de l’article R. 4241-19 du code des transports : « Le fait de laisser déborder sur les côtés d'un bateau des objets de nature à compromettre la sécurité des autres usagers de la voie d'eau, ou des ouvrages et installations de toute nature se trouvant dans la voie navigable ou à ses abords est interdit. / Les ancres relevées ne doivent pas dépasser le fond ou la quille du bateau ou le plan inférieur du matériel flottant ».

10. L’association requérante soutient que l’utilisation de filets débordant des côtés des bateaux compromet la sécurité de l’usage de la partie navigable des fleuves tels que le Lot, la Baïse et le canal de Garonne. Il ressort néanmoins de l’annexe IV de l’arrêté en litige que les filets devront être levés ou manœuvrés largement à temps pour ne pas gêner le passage des navires dans le chenal de navigation. Dans ces conditions, en l’absence de tout autre élément produit par l’association requérante, l’utilisation des filets n’est pas de nature à compromettre la sécurité des autres usagers de la voie d’eau, ou des ouvrages, et installations de toute nature se trouvant dans la voie navigable ou à ses abords. Par suite, le moyen tiré de ce que la préfète a méconnu les dispositions de l’article R. 4241-19 du code des transports doit être écarté.

En ce qui concerne l’atteinte à la protection de l’esturgeon :

11. D’une part, aux termes de l’article 6 de la directive n°92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et la flore sauvages : « Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d'autres plans d'aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d'habitats naturels de l'annexe I et des espèces de l'annexe II présents sur les sites. / 2. Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d'espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d'avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive (…) 4. Si, en dépit de conclusions négatives de l'évaluation des incidences sur le site et en l'absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l'État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Nature 2000 est protégée. L'État membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées. / Lorsque le site concerné est un site abritant un type d'habitat naturel et/ou une espèce prioritaires, seules peuvent être évoquées des considérations liées à la santé de l'homme et à la sécurité publique ou à des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ou, après avis de la Commission, à d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur ». Aux termes de son article 12 : « 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant: / a) toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature; / b) la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d'hibernation et de migration (…) ; / d) la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos. (…) / 4. Les États membres instaurent un système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles des espèces animales énumérées à l'annexe IV point a). Sur la base des informations recueillies, les États membres entreprennent les nouvelles recherches ou prennent les mesures de conservation nécessaires pour faire en sorte que les captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur les espèces en question ».
12. D’autre part, aux termes du I de l’article L. 414-1 du code de l’environnement : « Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat (…) ». Aux termes de l’article 1 de l’arrêté du 20 décembre 2004 relatif à la protection de l’espèce Acipenser sturio (esturgeon) : « Sont interdits sur tout le territoire national et en tout temps la destruction, l'altération ou la dégradation du milieu particulier des animaux provenant du territoire national, de l'espèce Acipenser sturio (esturgeon européen) jeunes ou adultes, la destruction ou l'enlèvement des oeufs, la destruction, la mutilation, la capture, l'enlèvement, la perturbation intentionnelle ou la naturalisation d'individus de ces espèces, qu'ils soient vivants ou morts, ainsi que leur transport, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat »

13. Selon l’association Défense des milieux aquatiques, alors que les dispositions précitées interdisent toute capture d’esturgeons, y compris accidentelles, l’arrêté en litige en autorisant la pêche aux filets permet à de telles captures de survenir. Elle ajoute qu’au sens de l’arrêt n°C 221 04 rendu par la cour de justice des communautés européennes le 18 mai 2006, la notion de capture intentionnelle doit s’entendre largement en incluant notamment l’hypothèse dans laquelle l’auteur de l’acte a accepté la possibilité qu’une telle capture puisse se produire.

14. Il résulte de l’arrêt n°C-221-04 rendu le 18 mai 2006 par la 2ème chambre de la Cour de justice des communautés européennes que la condition relative au caractère intentionnel se réfère à la fois à la capture et à la mise à mort des espèces animales protégées et que pour qu’elle soit remplie, il doit être établi que l’auteur de l’acte a voulu la capture ou la mise à mort d’un spécimen d’une espèce animale protégée ou, à tout le moins, a accepté la possibilité d’une telle capture ou mise à mort. Par ailleurs, les dispositions du 4° de l’article 12 de la directive du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et la flore sauvages concernent spécifiquement les captures accidentelles en prévoyant la mise en place d’un système de contrôle.

15. Or, il ressort des termes mêmes de l’arrêté en litige que celui-ci interdit, à son article 3 par renvoi à l’annexe I, la pêche de l’esturgeon. Dans ces conditions, ce moyen ne peut qu’être écarté.

En ce qui concerne le principe de précaution appliqué à la lamproie marine :

16. Aux termes de l’article 5 de la Charte de l’environnement : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Aux termes du II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement : « Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants : / 1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable (…) ».

17. Il résulte des dispositions de l’article 5 de la Charte de l'environnement ainsi que de l'article L. 110-1 du code de l'environnement que le principe de précaution s'applique en cas de risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé. Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, au vu de l'argumentation dont il est saisi, de vérifier que l'application du principe de précaution est justifiée, puis de s'assurer de la réalité des procédures d'évaluation du risque mises en œuvre et de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation dans le choix des mesures de précaution.

18. L’association requérante soutient que les dispositions de l’article 3 et de l’annexe I de l’arrêté en litige, en tant qu’elles autorisent la pêche aux engins et aux filets de la lamproie marine méconnaissent le principe de précaution dès lors qu’il existe un risque de disparition définitive de l’espèce.

19. Il ressort des pièces du dossier que la lamproie marine a été classée comme espèce en danger en juillet 2019 par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) soit le quatrième niveau (sur cinq) de vulnérabilité d’une espèce menacée, et son état de conservation dans la région « Atlantique » est estimé comme « défavorable mauvais » par l’Inventaire National du Patrimoine Universel prévu à l’article L. 411-5 du code de l’environnement, auquel concourt notamment le Muséum National d’Histoire Naturelle. Le plan de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) Garonne – Dordogne – Charente – Seudre – Leyre 2015-2019 précise que : « l’évolution des données de comptage au niveau des premiers barrages sur la Garonne (Golfech) et sur la Dordogne (Tuilières) révèle d’importantes variations en fonction des années et du bassin. Depuis 2010, le suivi révèle des remontées assez faibles voire nulles pour les dernières années 2013-2014. Il est encore difficile d’appréhender la totalité du stock reproducteur de lamproies (…) Environ 43 pêcheurs professionnels fluviaux au filet dérivant et 32 aux nasses recherchent la lamproie marine sur le bassin de la Garonne, Dordogne et Isle. Sur la période 2007-2014, environ 92 000 lamproies sont capturées chaque année. Ces captures fluctuent d’une année sur l’autre (Min : 63 022 ; Max : 117 688) (…) La méconnaissance de certaines fractions de la population ne permet pas de tirer des conclusions très précises sur le taux d’exploitation de la population ». Il ressort d’une étude réalisée en 2017 par l’association Migrateurs Garonne Dordogne (MIGADO) que : « Les résultats 2017 concernant les suivis de la migration et de la reproduction de la lamproie marine, à la fois sur la Dordogne (près de 600 individus) mais aussi à l’échelle du bassin Garonne-Dordogne (aucun passage à Golfech), restent extrêmement faibles. Sur la Dordogne, le stock larvaire reste très bas avec seulement 0,79 individu au m2 avec très peu d’individus issus de la reproduction 2017 (…) Cette population, anciennement importante, décroit notamment en termes de géniteurs présents sur frayère et de stock larvaire. L’absence de renouvellement de la population sur la partie moyenne des axes du bassin de la Dordogne et de la Garonne, mise en parallèle avec une forte exploitation du stock conduit à une situation jugée alarmante par le comité technique lamproie. Cette situation suscite des interrogations sur les causes de cette absence de géniteurs sur les frayères et impose la mise en place d’actions dans l’urgence (…) Alors que depuis le début des suivis en 2003, la population présentait un bon état d’abondance, depuis 6 ans, le stock reproducteur a nettement diminué pour atteindre certaines années les valeurs les plus basses jamais observées. La partie moyenne des grands axes Dordogne et Garonne semble désertée par les géniteurs et les juvéniles. Cette année, le bassin de la Dordogne a accueilli quelques 500 individus géniteurs, quasiment tous observés sur l’axe Isle/Dronne (…) ». Dans son étude réalisée en 2019, la même association, après avoir mis en place un suivi par radiopistage fait état de ce qu’ « Au regard des indicateurs suivis par MIGADO (observations aux stations de contrôle, suivi de la reproduction, suivi des stades larvaires), la situation de l’espèce sur le bassin est très préoccupante avec une chute drastique des effectifs recensés, quels que soient les indicateurs (…) Depuis maintenant plus de 5 ans, les suivis de la migration, de la reproduction et des stades larvaires, sur les deux axes, convergent tous dans le même sens et décrivent une situation catastrophique de l’espèce sur le bassin avec un stock reproducteur estimé à quelques centaines d’individus sur le bassin de la Dordogne (…) ». Il en ressort également qu’en 2018 entre 20 et 40% des lamproies tracées ont été capturées par pêcherie. Dans son étude de suivi réalisée en 2020, l’association MIGADO a notamment précisé que : « la situation de l’espèce sur le bassin est très préoccupante avec une chute drastique des effectifs recensés », témoignant d’une accélération du déclin de l’espèce qui apparaît en danger critique. Une autre étude de MM. C... et D... membres d’associations de pêcheurs professionnels réalisée avec le concours de M. B..., enseignant-chercheur à l’université de Pau et des pays de l’Adour précise qu’en 2019 près de 45 830 captures ont été déclarées, au titre de la pêche professionnelle, sur la Dordogne et la Garonne sur un total estimé de 232 460 lamproies, effectif total contesté par l’association requérante qui fait valoir un chiffre de 106 910 lamproies sur ce même bassin. En tout état de cause, le nombre de captures déclarées doit être regardé comme une estimation basse compte tenu d’une part, des insuffisances du régime de déclarations des prises relevées dans un rapport de décembre 2015 du conseil général de l’environnement et du développement durable ainsi que dans une étude de FranceAgriMer de décembre 2018 et d’autre part des captures de loisirs ou amateurs. Ainsi que cela ressort de l’article scientifique « The giants feast : predation of the large introduced European catfish on spawning migratind allis shads » du 29 juillet 2020, si la disparition de nombreux spécimens de lamproies marines, ne trouve pas son unique explication dans la pêche et qu’une approche multifactorielle doit être privilégiée, cette activité a un rôle déterminant dans la poursuite de la disparition des espèces menacées. En défense, la préfète de la Gironde fait valoir qu’il n’est pas établi que la pêche serait à l’origine du déclin de l’espèce. Toutefois, compte tenu de l’ensemble des éléments précités et du nombre de lamproies prélevées par la pêche professionnelle dans le bassin, l’impact de la pêche sur la survie de cette espèce apparaît déterminant. Si différentes mesures de relocalisation de lamproies, de pêche expérimentale des silures, et de réduction de la période de pêche ont été mises en œuvre, leurs effets ne sont pas encore évalués et ne sont donc pas de nature à garantir le bon état de conservation de l’espèce. Eu égard au risque d’atteinte grave et irréversible porté à la lamproie marine par l’article 3 de l’arrêté du 4 septembre 2020, la préfète de la Gironde en autorisant sa pêche a méconnu le principe de précaution.

20. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen tenant à l’absence de limitation des captures de lamproies au regard de l’article R. 436-45 du code de l’environnement, que les dispositions de l’article 3 et l’annexe I de l’arrêté du 4 septembre 2020, qui sont divisibles, sont entachées d’illégalité seulement en tant qu’elles autorisent la pêche de la lamproie marine, de sorte que le refus d’abroger l’arrêté du 4 septembre 2020 doit être annulé dans cette mesure.

D E C I D E :

Article 1er : Le refus d’abroger l’arrêté du 4 septembre 2020 en tant qu’il autorise la pêche de la lamproie marine est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à l'association Défense des milieux aquatiques, au ministre de l’agriculture et de l’alimentation et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.