Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés les 18 juin, 27 septembre et 31 octobre 2021, l’association Défense des milieux aquatiques demande au tribunal dans le dernier état de ses écritures d’annuler l’arrêté du 10 juin 2021 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne a règlementé l’exercice de la pêche en eau douce en tant qu’il autorise la pêche professionnelle et amateure aux filets au détriment de l’esturgeon, du saumon, de l’alose et de la lamproie marine.

Elle soutient que :

- l’arrêté est entaché d’un vice de procédure dès lors qu’aucune évaluation des incidences en application des I, III et VI de l’article L. 414-4 du code de l’environnement n’a été conduite ; l’article R. 414-19 du code de l’environnement prévoit au 21° du I que sont considérées comme un document de planification, programme ou projet, manifestation et intervention devant faire l’objet d’une telle évaluation au sens du 1° du III de l’article L. 414-4 du même code, les occupations d’une dépendance du domaine public d’une personne publique soumise à autorisation au titre de l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques lors que la dépendance occupée est localisée, en tout ou partie, en site Natura 2000 ;

- il méconnaît les dispositions de l’article L. 431-16 du code de l’environnement dès lors qu’il autorise nécessairement la détention d’engins de pêche interdits pour la pêche du saumon et de l’esturgeon ;

- il méconnaît les dispositions de l’article L. 411-1 du code de l’environnement dès lors que les esturgeons sont accidentellement piégés par les engins de pêche ;

- il méconnaît le principe de précaution prévu à l’article 5 de la Charte de l’environnement et à l’article L. 110-16 du code de l’environnement dès lors qu’il autorise la pêche des lamproies marines ;

- il méconnaît l’article R. 436-45 du code de l’environnement dès lors qu’aucune limite de captures de lamproies marines n’est fixée ;

- il est entaché d’un vice de procédure dès lors que le conseil national de protection de la nature n’a pas été saisi pour la capture des lamproies marines ;

- la lamproie marine est protégée en tant qu’élément utilisé pour la reproduction de la grande mulette de sorte qu’une dérogation devait être instruite conformément au 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement.

- l’arrêté méconnaît les dispositions de l’article R. 4241-9 du code des transports dès lors que l’utilisation de filets constitue un danger pour la sécurité des autres usagers.

Par des mémoires en défense enregistrés les 22 septembre et 22 octobre 2021, le préfet de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu’aucun des moyens soulevés n’est fondé.

Par ordonnance du 4 novembre 2021, la clôture d’instruction a été fixée en dernier lieu au 17 novembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte de l’Environnement ;

- la directive n°92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et la flore sauvages ;

- le code de l’environnement ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code des transports ;

- l’arrêté du 20 décembre 2004 relatif à la protection de l’esturgeon ;

- l’arrêté du préfet de Lot-et-Garonne du 4 février 2014 portant inventaire des frayères ;

- l’arrêté du 5 avril 2016 portant désignation du site Natura 2000 la Garonne (zone spéciale de conservation) ;

- l’arrêt n°C-221-04 rendu le 18 mai 2006 par la 2ème chambre de la cour de justice des communautés européennes ; - le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Bongrain,

- et les conclusions de M. Naud, rapporteur public,

- les parties n’étant ni présentes, ni représentées.

Une note en délibéré présentée par l’association Défense des milieux aquatiques a été enregistrée le 28 avril 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 10 juin 2021, le préfet de Lot-et-Garonne a règlementé l’exercice de la pêche en eau douce. La Garonne est classée zone spécifique de protection Natura 2000 par l’arrêté ministériel du 5 avril 2016 pour la protection notamment de l’esturgeon, de la lamproie marine, du saumon atlantique, et de la grande alose. L’association Défense des milieux aquatiques demande l’annulation de l’arrêté du 10 juin 2021 en tant qu’il autorise la pêche professionnelle et amateure aux filets au détriment de l’esturgeon, du saumon, de l’alose et de la lamproie marine.

Sur l’absence de réalisation d’une évaluation des incidences :

2. D’une part, aux termes du 3 de l’article 6 de la directive n°92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et la flore sauvages : « Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d'affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d'autres plans et projets, fait l'objet d'une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l'évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu'après s'être assurées qu'il ne portera pas atteinte à l'intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l'avis du public ». Aux termes de l’article L. 414-4 du code de l’environnement : « I. – Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après " Evaluation des incidences Natura 2000 " : (…) / 2° Les programmes ou projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations (…) II. – Les programmes ou projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations ainsi que les manifestations et interventions prévus par les contrats Natura 2000 ou pratiqués selon les engagements spécifiques définis par une charte Natura 2000 sont dispensés de l'évaluation des incidences Natura 2000. / II bis. – Les activités de pêche maritime professionnelle s'exerçant dans le périmètre d'un ou de plusieurs sites Natura 2000 font l'objet d'analyses des risques d'atteinte aux objectifs de conservation des sites Natura 2000, réalisées à l'échelle de chaque site, lors de l'élaboration ou de la révision des documents d'objectifs mentionnés à l'article L. 414-2. Lorsqu'un tel risque est identifié, l'autorité administrative prend les mesures réglementaires pour assurer que ces activités ne portent pas atteinte aux objectifs de conservation du site, dans le respect des règles de la politique commune de la pêche maritime. Ces activités sont alors dispensées d'évaluation d'incidences sur les sites Natura 2000. / III. – Sous réserve du IV bis, les documents de planification, programmes ou projets ainsi que les manifestations ou interventions soumis à un régime administratif d'autorisation, d'approbation ou de déclaration au titre d'une législation ou d'une réglementation distincte de Natura 2000 ne font l'objet d'une évaluation des incidences Natura 2000 que s'ils figurent : 1° Soit sur une liste nationale établie par décret en Conseil d'Etat ; 2° Soit sur une liste locale, complémentaire de la liste nationale, arrêtée par l'autorité administrative compétente (…)». Aux termes du I. de l’article R. 414-19 du code de l’environnement : « La liste nationale des documents de planification, programmes ou projets ainsi que des manifestations et interventions qui doivent faire l'objet d'une évaluation des incidences sur un ou plusieurs sites Natura 2000 en application du 1° du III de l'article L. 414-4 est la suivante : (…) / 21° L'occupation d'une dépendance du domaine public d'une personne publique soumise à autorisation au titre de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques lorsque la dépendance occupée est localisée, en tout ou partie, en site Natura 2000 (…) ».

3. D’autre part, aux termes de l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 donne lieu au paiement d'une redevance sauf lorsque l'occupation ou l'utilisation concerne l'installation par l'Etat des équipements visant à améliorer la sécurité routière ou nécessaires à la liquidation et au constat des irrégularités de paiement de toute taxe perçue au titre de l'usage du domaine public routier. / Par dérogation aux dispositions de l'alinéa précédent, l'autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public peut être délivrée gratuitement : (…) / 5° Soit lorsque l'occupation ou l'utilisation est soumise au paiement de redevances sous la forme de baux ou de licences consentis à titre onéreux autorisant l'exercice de pêche professionnelle ainsi que la navigation, l'amarrage et le stationnement des embarcations utilisées pour cette activité ». Aux termes de l’article L. 435-1 du code de l’environnement : « Le droit de pêche appartient à l'Etat et est exercé à son profit : / 1° Dans le domaine public de l'Etat défini à l'article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, sous réserve des cas dans lesquels le droit de pêche appartient à un particulier en vertu d'un droit fondé sur titre ; / 2° Dans les parties non salées des cours d'eau et canaux non domaniaux affluant à la mer, qui se trouvaient comprises dans les limites de l'inscription maritime antérieurement aux 8 novembre et 28 décembre 1926. Ces parties sont déterminées par décret. / II. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'exploitation par adjudication, amodiation amiable ou licence, du droit de pêche de l'Etat, et les modalités de gestion des ressources piscicoles du domaine et des cours d'eau et canaux mentionnés aux 1° et 2° du I. Il fixe, en particulier, la liste des fonctionnaires, des agents et des membres de leur famille qui ne peuvent prendre part directement à la location de ce droit de pêche ».

4. L’association Défense des milieux aquatiques soutient que l’arrêté en litige a été édicté au terme d’une procédure irrégulière dès lors qu’aucune évaluation des incidences telle que prévue pour les zones Natura 2000 n’a été réalisée, la pêche constituant une occupation temporaire du domaine public.

5. Si l’exercice d’une activité telle que la pêche constitue une occupation temporaire du domaine public, cette occupation est, conformément aux dispositions du code général de la propriété publique et du code de l’environnement précitées, subordonnée à l’octroi de licences ou de cartes de pêche. L’arrêté du 10 juin 2021 dont l’association requérante demande l’annulation, a pour seul objet de règlementer les pratiques de pêche et non d’autoriser, par lui-même, une telle occupation du domaine public fluvial. Par suite, la requérante ne peut utilement se prévaloir de l’absence de réalisation d’une évaluation des incidences au sens des dispositions précitées. Sur l’autorisation d’utiliser des engins et filets susceptibles d’être utilisés pour la pêche du saumon et de l’esturgeon :

6. Aux termes de l’article L. 436-16 du code de l’environnement : « Est puni de six mois d'emprisonnement et de 50 000 € d'amende, lorsque les espèces concernées sont l'anguille européenne (anguilla anguilla), y compris le stade alevin, l'esturgeon européen (acipenser sturio) et le saumon atlantique (salmo salar), le fait: / 1o De pêcher ces espèces dans une zone ou à une période où leur pêche est interdite; / 2o D'utiliser pour la pêche de ces mêmes espèces tout engin, instrument ou appareil interdit ou de pratiquer tout mode de pêche interdit pour ces espèces; / 3o De détenir un engin, instrument ou appareil utilisable pour la pêche de ces mêmes espèces à une période et dans une zone ou à proximité immédiate d'une zone où leur pêche est interdite, à l'exclusion de ceux entreposés dans des locaux déclarés à l'autorité administrative; / 4o De vendre, mettre en vente, transporter, colporter ou acheter ces mêmes espèces, lorsqu'on les sait provenir d'actes de pêche effectués dans les conditions mentionnées au 1o (…) ».

7. L’association requérante soutient que l’arrêté en litige méconnaît les dispositions précitées de l’article L. 436-16 du code de l’environnement dès lors qu’il autorise la pêche aux filets alors que les filets de type araignée, tramail et verveux sont susceptibles d’être utilisés pour la pêche de l’esturgeon et du saumon. Or l’arrêté en litige n’autorise ni la pêche de l’esturgeon, ni celle du saumon de sorte que l’association requérante ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions.

Sur la méconnaissance des dispositions de l’article R. 4241-19 du code des transports :

8. Aux termes de l’article R. 4241-19 du code des transports : « Le fait de laisser déborder sur les côtés d'un bateau des objets de nature à compromettre la sécurité des autres usagers de la voie d'eau, ou des ouvrages et installations de toute nature se trouvant dans la voie navigable ou à ses abords est interdit. / Les ancres relevées ne doivent pas dépasser le fond ou la quille du bateau ou le plan inférieur du matériel flottant ».

9. L’association requérante soutient que l’utilisation de filets débordant des côtés des bateaux compromet la sécurité de l’usage de la partie navigable des fleuves tels que le Lot, la Baïse et le canal de Garonne. Il ressort néanmoins de l’article 7.2.1 de l’arrêté en litige que les filets et engins de toute nature ne peuvent occuper plus des 2/3 de la largeur mouillée du cours d’eau, ne peuvent être employés simultanément sur la même rive ou sur deux rives opposées par des pêcheurs différents que s’ils sont séparés par une distance égale à trois fois au moins la longueur du plus long des filets. Dans ces conditions, l’utilisation des filets n’est pas de nature à compromettre la sécurité des autres usagers de la voie d’eau, ou des ouvrages, et installations de toute nature se trouvant dans la voie navigable ou à ses abords. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet a méconnu les dispositions de l’article R. 4241-19 du code des transports doit être écarté.

Sur l’atteinte à la protection de l’esturgeon :

10. D’une part, aux termes de l’article 6 de la directive n°92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et la flore sauvages : « Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d'autres plans d'aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d'habitats naturels de l'annexe I et des espèces de l'annexe II présents sur les sites. / 2. Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d'espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d'avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive (…) 4. Si, en dépit de conclusions négatives de l'évaluation des incidences sur le site et en l'absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l'État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Nature 2000 est protégée. L'État membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées. / Lorsque le site concerné est un site abritant un type d'habitat naturel et/ou une espèce prioritaires, seules peuvent être évoquées des considérations liées à la santé de l'homme et à la sécurité publique ou à des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ou, après avis de la Commission, à d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur ». Aux termes de son article 12 : « 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant: / a) toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature; / b) la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d'hibernation et de migration 5 (…) ; / d) la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos. (…) / 4. Les États membres instaurent un système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles des espèces animales énumérées à l'annexe IV point a). Sur la base des informations recueillies, les États membres entreprennent les nouvelles recherches ou prennent les mesures de conservation nécessaires pour faire en sorte que les captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur les espèces en question ».

11. D’autre part, aux termes du I de l’article L. 414-1 du code de l’environnement : « Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat (…) ». Aux termes de l’article 1 de l’arrêté du 20 décembre 2004 relatif à la protection de l’espèce Acipenser sturio (esturgeon) : « Sont interdits sur tout le territoire national et en tout temps la destruction, l'altération ou la dégradation du milieu particulier des animaux provenant du territoire national, de l'espèce Acipenser sturio (esturgeon européen) jeunes ou adultes, la destruction ou l'enlèvement des oeufs, la destruction, la mutilation, la capture, l'enlèvement, la perturbation intentionnelle ou la naturalisation d'individus de ces espèces, qu'ils soient vivants ou morts, ainsi que leur transport, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ».

12. Selon l’association Défense des milieux aquatiques, alors que les dispositions précitées interdisent toute capture d’esturgeons, y compris accidentelles, l’arrêté en litige en autorisant la pêche aux filets permet à de telles captures de survenir. Elle ajoute qu’au sens de l’arrêt n°C 221 04 rendu par la cour de justice des communautés européennes le 18 mai 2006, la notion de capture intentionnelle doit s’entendre largement en incluant notamment l’hypothèse dans laquelle l’auteur de l’acte a accepté la possibilité qu’une telle capture puisse se produire.

13. Il résulte de l’arrêt n°C-221-04 rendu le 18 mai 2006 par la 2ème chambre de la Cour de justice des communautés européennes que la condition relative au caractère intentionnel se réfère à la fois à la capture et à la mise à mort des espèces animales protégées et que pour qu’elle soit remplie, il doit être établi que l’auteur de l’acte a voulu la capture ou la mise à mort d’un spécimen d’une espèce animale protégée ou, à tout le moins, a accepté la possibilité d’une telle capture ou mise à mort. Par ailleurs, les dispositions du 4° de l’article 12 de la directive du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et la flore sauvages concernent spécifiquement les captures accidentelles en prévoyant la mise en place d’un système de contrôle.

14. Or, il ressort des termes mêmes de l’arrêté en litige que celui-ci interdit, à son article 2.3, la pêche de l’esturgeon. Dans ces conditions, ce moyen ne peut qu’être écarté.

Sur le principe de précaution appliqué à la lamproie marine :

15. Aux termes de l’article 5 de la Charte de l’environnement : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Aux termes du II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement : « Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants : / 1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable (…) ».

16. Il résulte des dispositions de l’article 5 de la Charte de l'environnement ainsi que de l'article L. 110-1 du code de l'environnement que le principe de précaution s'applique en cas de risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé. Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, au vu de l'argumentation dont il est saisi, de vérifier que l'application du principe de précaution est justifiée, puis de s'assurer de la réalité des procédures d'évaluation du risque mises en œuvre et de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation dans le choix des mesures de précaution.

17. L’association requérante soutient que les dispositions de l’article 3.2 de l’arrêté en litige, en tant qu’elles autorisent la pêche aux engins et aux filets de la lamproie marine du 1er janvier au 30 avril méconnaissent le principe de précaution dès lors qu’il existe un risque de disparition définitive de l’espèce.

18. Il ressort des pièces du dossier que la lamproie marine a été classée comme espèce en danger en juillet 2019 par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) soit le quatrième niveau (sur cinq) de vulnérabilité d’une espèce menacée, et son état de conservation dans la région « Atlantique » est estimé comme « défavorable mauvais » par l’Inventaire National du Patrimoine Universel prévu à l’article L. 411-5 du code de l’environnement, auquel concourt notamment le Muséum National d’Histoire Naturelle. Le plan de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) Garonne – Dordogne – Charente – Seudre – Leyre 2015-2019 précise que : « l’évolution des données de comptage au niveau des premiers barrages sur la Garonne (Golfech) et sur la Dordogne (Tuilières) révèle d’importantes variations en fonction des années et du bassin. Depuis 2010, le suivi révèle des remontées assez faibles voire nulles pour les dernières années 2013-2014. Il est encore difficile d’appréhender la totalité du stock reproducteur de lamproies (…) Environ 43 pêcheurs professionnels fluviaux au filet dérivant et 32 aux nasses recherchent la lamproie marine sur le bassin de la Garonne, Dordogne et Isle. Sur la période 2007-2014, environ 92 000 lamproies sont capturées chaque année. Ces captures fluctuent d’une année sur l’autre (Min : 63 022 ; Max : 117 688) (…) La méconnaissance de certaines fractions de la population ne permet pas de tirer des conclusions très précises sur le taux d’exploitation de la population ». Il ressort d’une étude réalisée en 2017 par l’association Migrateurs Garonne Dordogne (MIGADO) que : « Les résultats 2017 concernant les suivis de la migration et de la reproduction de la lamproie marine, à la fois sur la Dordogne (près de 600 individus) mais aussi à l’échelle du bassin Garonne-Dordogne (aucun passage à Golfech), restent extrêmement faibles (…) Cette population, anciennement importante, décroit notamment en termes de géniteurs présents sur frayère et de stock larvaire. L’absence de renouvellement de la population sur la partie moyenne des axes du bassin de la Dordogne et de la Garonne, mise en parallèle avec une forte exploitation du stock conduit à une situation jugée alarmante par le comité technique lamproie. Cette situation suscite des interrogations sur les causes de cette absence de géniteurs sur les frayères et impose la mise en place d’actions dans l’urgence (…) Alors que depuis le début des suivis en 2003, la population présentait un bon état d’abondance, depuis 6 ans, le stock reproducteur a nettement diminué pour atteindre certaines années les valeurs les plus basses jamais observées. La partie moyenne des grands axes Dordogne et Garonne semble désertée par les géniteurs et les juvéniles (…) ». Dans son étude réalisée en 2019, la même association, après avoir mis en place un suivi par radiopistage fait état de ce qu’ « Au regard des indicateurs suivis par MIGADO (observations aux stations de contrôle, suivi de la reproduction, suivi des stades larvaires), la situation de l’espèce sur le bassin est très préoccupante avec une chute drastique des effectifs recensés, quels que soient les indicateurs (…) Depuis maintenant plus de 5 ans, les suivis de la migration, de la reproduction et des stades larvaires, sur les deux axes, convergent tous dans le même sens et décrivent une situation catastrophique de l’espèce sur le bassin avec un stock reproducteur estimé à quelques centaines d’individus (…) ». Il en ressort également qu’en 2018 entre 20 et 40% des lamproies tracées ont été capturées par pêcherie. Dans son étude de suivi réalisée en 2020, l’association MIGADO a notamment précisé que : « la situation de l’espèce sur le bassin est très préoccupante avec une chute drastique des effectifs recensés », témoignant d’une accélération du déclin de l’espèce qui apparaît en danger critique. Une autre étude, de MM. C... et D... membres d’associations de pêcheurs professionnels réalisée avec le concours de M. B..., enseignant-chercheur à l’université de Pau et des pays de l’Adour précise qu’en 2019 près de 45 830 captures ont été déclarées, au titre de la pêche professionnelle, sur la Dordogne et la Garonne sur un total estimé de 232 460 lamproies, effectif total contesté par l’association requérante qui fait valoir un chiffre de 106 910 lamproies sur ce même bassin. En tout état de cause, le nombre de captures déclarées doit être regardé comme une estimation basse compte tenu d’une part, des insuffisances du régime de déclarations des prises relevées dans un rapport de décembre 2015 du conseil général de l’environnement et du développement durable ainsi que dans une étude de FranceAgriMer de décembre 2018 et d’autre part des captures de loisirs ou amateurs. En défense, si le préfet de Lot-et-Garonne met en avant le rôle du silure dans la raréfaction de l’espèce, il ressort toutefois des analyses stomacales de silures prélevées en 2021 que sur 224 silures analysés, seules 7 lamproies ont été retrouvées, ce qui n’apparaît pas significatif. Si l’étude réalisée en 2019 par l’association MIGADO fait état de ce que 80% des lamproies marquées ont été prédatées, le marquage des poissons par radiopistage n’y apparaît pas étranger, de sorte qu’en l’état des pièces du dossier et des connaissances scientifiques, l’impact du silure sur la conservation des lamproies semble mesuré. Compte tenu de l’ensemble des éléments précités et du nombre de lamproies prélevées par la pêche professionnelle dans le bassin, l’impact de la pêche sur la survie de cette espèce apparaît déterminant. Si différentes mesures de relocalisation de lamproies, de pêche expérimentale des silures, et de réduction de la période de pêche ont été mises en œuvre, leurs effets ne sont pas encore évalués et ne sont donc pas de nature à garantir le bon état de conservation de l’espèce. Eu égard au risque d’atteinte grave et irréversible porté à la lamproie marine par l’article 3.2 de l’arrêté du 10 juin 2021, le préfet de Lot-et-Garonne en autorisant sa pêche a méconnu le principe de précaution.

19. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens tenant à l’absence de limitation des captures de lamproies au regard de l’article R. 436-45 du code de l’environnement, à l’absence d’avis du conseil national de protection de la nature pour prélever des lamproies et à l’absence de dérogation à la protection de la grande mulette en tant que la lamproie est son poisson-hôte, que l’article 3.2 de l’arrêté du 10 juin 2021, qui est divisible, doit être annulé seulement en tant qu’il autorise la pêche de la lamproie marine.

D E C I D E :

Article 1er : L’article 3.2 de l’arrêté du 10 juin 2021 du préfet de Lot-et-Garonne est annulé en tant qu’il autorise la pêche de la lamproie marine.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à l'association Défense des milieux aquatiques, au ministre de l’agriculture et de l’alimentation et à la ministre de la transition écologique. Copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.