Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 février 2021 et 13 avril 2022, la commune du Teich, représentée par Me Malik Memlouk, demande au tribunal dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler l’arrêté du 11 décembre 2020 par lequel le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a prononcé l’application du régime forestier à 694 hectares 56 ares et 25 centiares de bois et forêts appartenant à la commune du Teich ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761 1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la consultation prévue à l’article R. 214-3 du code forestier n’a pas été menée régulièrement dès lors que la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ne pouvait donner son avis en lieu et place du ministre de l’Intérieur ; Mme A... B... ne pouvait pas signer d’avis au nom de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; la ministre de la transition écologique n’a pas été consultée ;

- l’arrêté en litige constitue une décision publique ayant une incidence sur l’environnement ; la procédure au terme de laquelle cette décision a été édictée est irrégulière dès lors qu’aucune procédure de participation du public n’a été mise en œuvre ;

- aucun motif d’intérêt général ne fonde l’arrêté en litige, qui ne met fin à aucune situation irrégulière ; l’application non consensuelle du régime forestier est susceptible de nuire à l’intérêt général en raison, notamment, de la perte de garanties durables qu’elle cause ;

- la décision méconnaît les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 4.3 et 9.1 de la charte européenne de l’autonomie locale ;

- elle méconnaît le principe de sécurité juridique dès lors qu’aucun dispositif transitoire n’est prévu ; elle entraîne la perte de garanties de gestion durable ; elle porte atteinte aux relations contractuelles qu’elle a nouées pour dix ans avec un gestionnaire forestier ; certaines promesses d’achat ne pourront pas être honorées ; pour refuser de mettre en œuvre un régime transitoire le ministre s’appuie sur un mauvais-vouloir de sa part qui n’est pas constitué ;

- l’article R. 214-3 du code forestier, qui constitue la base légale de l’arrêté en litige, méconnaît lui-même le principe de sécurité juridique dès lors qu’il ne prévoit pas de régime transitoire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2022, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- les collectivités territoriales ne peuvent utilement se prévaloir des dispositions de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- aucun des autres moyens soulevés n’est fondé.

Par une décision n° 458196 du 28 janvier 2022, le Conseil d’Etat a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune du Teich, relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l’article L. 214-3 du code forestier.

Par ordonnance du 27 avril 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 20 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la Charte européenne de l’autonomie locale ;

- la Charte de l’environnement ;

- le code civil ;

- le code de l’environnement ;

- le code forestier ;

- le décret n°2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement ;

- le décret n° 2013-728 du 12 août 2013 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer ;

- le décret n°2017-1081 du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre de l'agriculture et de l'alimentation ;

- le décret n° 2020-877 du 15 juillet 2020 relatif aux attributions du ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ;

- l’arrêté du 13 décembre 2001 portant organisation de la direction générale des collectivités locales, publié au journal officiel n°290 du 14 décembre 2001 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Bongrain,

- les conclusions de M. Naud, rapporteur public,

- et les observations de Me Juquin, représentant la commune du Teich,

- le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire n’étant ni présent, ni représenté.

Considérant ce qui suit :

1. La commune du Teich est propriétaire d’environ 770 hectares de bois et forêts, qu’elle gère conformément au règlement type de gestion applicable sur le périmètre du schéma régional d’aménagement du plateau landais, approuvé par arrêté de la préfète de la région Nouvelle-Aquitaine du 30 avril 2019 avec le concours d’un gestionnaire forestier spécialisé. Par un courrier du 14 novembre 2019, la préfète de la Gironde a proposé à la commune du Teich de rendre applicable le régime forestier à 694 hectares 56 ares et 25 centiares de bois et forêts lui appartenant. Le 20 décembre 2019, la commune du Teich a fait part de son désaccord. Par un arrêté du 11 décembre 2020, dont la commune requérante demande l’annulation, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a prononcé l’application du régime forestier sur ces bois et forêts.

Sur le cadre juridique applicable :

2. Aux termes du I de l’article L. 211-1 du code forestier : « Relèvent du régime forestier, constitué des dispositions du présent livre, et sont administrés conformément à celui-ci : (…) / 2° Les bois et forêts susceptibles d'aménagement, d'exploitation régulière ou de reconstitution qui appartiennent aux collectivités et personnes morales suivantes, ou sur lesquels elles ont des droits de propriété indivis, et auxquels ce régime a été rendu applicable dans les conditions prévues à l'article L. 214-3 : / a) Les régions, la collectivité territoriale de Corse, les départements, les communes ou leurs groupements, les sections de communes (…) ». Aux termes de l’article L. 214 3 de ce même code : « Dans les bois et forêts des collectivités territoriales et des autres personnes morales mentionnées au 2° du I de l'article L. 211-1 susceptibles d'aménagement, d'exploitation régulière ou de reconstitution, l'application du régime forestier est prononcée par l'autorité administrative compétente de l'Etat, après avis de la collectivité ou de la personne morale intéressée. En cas de désaccord, la décision est prise par arrêté du ministre chargé des forêts ». Aux termes de l’article R. 214-2 du même code : « Pour l'application de l'article L. 214-3, le préfet prononce l'application du régime forestier sur la proposition de l'Office national des forêts, après avis de la collectivité ou personne morale propriétaire. / En cas de désaccord entre la collectivité ou personne morale intéressée et l'Office national des forêts, l'application du régime forestier est prononcée par arrêté du ministre chargé des forêts après avis, selon le cas, des autres ministres concernés ».

Sur les conclusions à fins d’annulation :

3. D’une part, aux termes de l’article 7 de la Charte de l’environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ». Aux termes de l’article L. 112 4 du code forestier : « Les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public est applicable aux décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement prises en application du présent code sont, sous réserve des dispositions particulières que celui-ci édicte, énoncées aux articles L. 120-1 à L. 120-2 du code de l'environnement ». Aux termes du I de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement, qui reprend les dispositions de l’article L. 120 1 du même code : « Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration (…) Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif ».

4. D’autre part, aux termes de l’article L. 112-1 du code forestier alors en vigueur : « Les forêts, bois et arbres sont placés sous la sauvegarde de la Nation, sans préjudice des titres, droits et usages collectifs et particuliers. / Sont reconnus d'intérêt général : / 1° La protection et la mise en valeur des bois et forêts ainsi que le reboisement dans le cadre d'une gestion durable ; / 2° La conservation des ressources génétiques et de la biodiversité forestières ; / 3° La protection de la ressource en eau et de la qualité de l'air par la forêt dans le cadre d'une gestion durable ; / 4° La protection ainsi que la fixation des sols par la forêt, notamment en zone de montagne ; / 5° La fixation du dioxyde de carbone par les bois et forêts et le stockage de carbone dans les bois et forêts, le bois et les produits fabriqués à partir de bois, contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique (…) ». Aux termes de l’article L. 121-3 du code forestier : « Les bois et forêts relevant du régime forestier satisfont de manière spécifique à des besoins d'intérêt général soit par l'accomplissement des obligations particulières prévues par ce régime, soit par une promotion d'activités telles que l'accueil du public, la conservation des milieux, la prise en compte de la biodiversité et la recherche scientifique ». Aux termes de l’article L. 122-10 du code forestier : « Dans les bois et forêts relevant du régime forestier, en particulier dans ceux appartenant à l'Etat mentionnés au 1° du I de l'article L. 211-1, l'ouverture au public doit être recherchée le plus largement possible. Celle-ci implique des mesures permettant la protection des bois et forêts et des milieux naturels, notamment pour garantir la conservation des sites les plus fragiles ainsi que des mesures nécessaires à la sécurité du public ».

5. Il résulte des dispositions précitées que l’application du régime forestier entraîne par elle-même des obligations particulières, la promotion d’activités d’accueil du public et de conservation du milieu, avec pour objectif la protection des bois et forêts et des milieux naturels et a ainsi une incidence directe et significative sur l’environnement. Si le ministre de l’agriculture et de l’alimentation fait valoir en défense que l’arrêté en litige se borne à définir le périmètre d’application du régime forestier et que le document d’aménagement prévu à l’article L. 212-2 du code forestier, qui sera élaboré ultérieurement, prendra en compte les objectifs de gestion durable et fixera les modalités de gestion des bois et forêts concernés, cette circonstance n’est pas de nature à ôter à cet arrêté, qui n’est ni un acte à caractère réglementaire, ni une décision individuelle, le caractère de décision ayant une incidence directe et significative sur l’environnement. Ce faisant, en prononçant l’application du régime forestier aux bois et forêts appartenant à la commune du Teich sans avoir procédé à la mise en œuvre de la procédure de participation du public prévue à l’article L. 123-19-1 précité, lequel est applicable en l’absence de procédure particulière fixée par le code forestier, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a édicté son arrêté au terme d’une procédure irrégulière.

6. Un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable n’est toutefois de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de cette décision ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie.

7. En l’espèce, la méconnaissance par l’autorité administrative, de la procédure prévue par les dispositions de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement préalablement à l’édiction de l’arrêté en litige a privé le public d’une garantie. Il s’ensuit que l’arrêté du 11 décembre 2020 a été édicté au terme d’une procédure irrégulière dans des conditions de nature à l’entacher d’illégalité.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que l’arrêté du 11 décembre 2020 par lequel le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a prononcé l’application du régime forestier à 694 hectares 56 ares et 25 centiares de bois et forêts appartenant à la commune du Teich doit être annulé.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune du Teich non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêté du 11 décembre 2020 par lequel le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a prononcé l’application du régime forestier à 694 hectares 56 ares et 25 centiares de bois et forêts appartenant à la commune du Teich est annulé.

Article 2 : L’Etat versera à la commune du Teich une somme de 2 000 (deux mille) euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la commune du Teich et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde