Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 10 mai, 24 octobre 2019, 7 et 16 avril 2021, l’association France nature environnement (FNE) et l’association société pour l’étude la protection et l’aménagement de la nature dans le sud-ouest (SEPANSO), représentées par Me Alice Terrasse, demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) de condamner la Chambre d'agriculture de Lot-et-Garonne à leur verser chacune la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice moral que leur ont causé la réalisation, sans autorisation, de la retenue d’eau dite de « A... » sur le territoire de la commune de L... ;

2°) de mettre à la charge de la Chambre d'agriculture de Lot-et-Garonne la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761 1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la requête est recevable dès lors qu’une demande préalable a été adressée le 7 janvier 2019 (PJ30) et qu’elles ont intérêt à agir étant pour France nature environnement, association agréée par arrêté ministériel en date du 17 novembre 2017 en dernier lieu au titre de l’article L. 141-1 du code de l’environnement et pour la SEPANSO Aquitaine, agréée par arrêté du 15 mai 1979 au titre du même article ; l’exécution des travaux a porté une atteinte grave et irréversible aux intérêts qu’elles défendent ;

- en conduisant les travaux de construction de la retenue de A... sans autorisation de novembre 2018 à la fin du mois de mars 2019 et en ignorant les décisions de justice et toutes les injonctions réitérées de l’Etat de cesser lesdits travaux, la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne, prise en la personne de son président, a commis une faute d’une exceptionnelle gravité ; tout d’abord, la chambre d’agriculture dont l’intervention était limitée à l’acquisition des terrains du projet a dépassé le cadre de sa mission, le syndicat départemental des collectivités irrigantes de Lot-et-Garonne (SDCI 47) ayant la qualité de maître d’ouvrage délégué pour le compte de l’association syndicale autorisée de A... (ASA de A...) ; le SDCI 47 a abandonné sa mission de maîtrise d’ouvrage déléguée dès le retrait de l’autorisation environnementale ; la CA 47 a poursuivi les travaux en dépit du retrait de l’autorisation environnementale le 15 octobre 2018 ce qui a été constaté à de multiples reprises par la DDT et la DREAL ce qui a conduit la préfète de Lot-et-Garonne a édicté un arrêté en date du 14 décembre 2018 mettant le SDCI 47 en demeure de régulariser sa situation administrative dans un délai d’un an et enjoignant à la CA 47 de suspendre immédiatement les travaux et de prendre toutes mesures utiles pour assurer la protection des intérêts protégés par les articles L. 211-1 et L. 411-1 du code de l’environnement, puis face au constat de la poursuite des travaux, un arrêté en date du 17 janvier 2019 d’apposition des scellés sur les engins de chantier présents sur le site sur le fondement de l’article L. 171-10 du code de l’environnement ; un second arrêté en date du 18 mars 2019 a dû être pris par la préfète de mise en demeure à la CA 47 de présenter soit un dossier de demande d’autorisation soit un dossier de remise en état du site ; cette faute de la chambre d’agriculture est d’autant plus établie que ces faits sont susceptibles de caractériser au moins la commission des délits de mise en place d’un ouvrage sans l’autorisation requise par l’article L. 214-1 du code de l’environnement et la réalisation d’un ouvrage soumis à autorisation au titre de l’article L. 214-3 du code de l’environnement et d’une mesure préfectorale de suspension de travaux au titre de l’article L. 214-3 du même code ;

- le lien de causalité entre la faute et le préjudice est établi ; l’article L. 142-2 du code de l’environnement permet aux associations agréées de protection de l’environnement ou régulièrement déclarées depuis au moins 5 ans à la date des faits, comme elles, de demander réparation à l’auteur de toute infraction aux dispositions légales ayant pour objet la protection de l’environnement notamment la police de l’eau et causant un préjudice direct ou indirect aux intérêts

- le préjudice moral des requérantes est établi dès lors que la faute commise porte atteinte aux intérêts collectifs qu’elles défendent et au milieu naturel tout comme aux espèces ; elles ont d’ailleurs engagé de multiples actions pour tenter de faire cesser les travaux en raison de l’hostilité pugnace de la chambre d’agriculture qui a persisté dans la réalisation des travaux ; concernant les impacts résultant de la phase des travaux, l’agence française pour la biodiversité a relevé un très fort colmatage de la partie aval du ruisseau de A... provoqué par une accumulation de matières en suspension sur une épaisseur de 25 cm au fond du cours d’eau, ce qui signifie qu’aucun dispositif de protection n’a été pris pour le protéger face à des départs massifs de terre qui sont inévitables dans ce type de terrassement ; concernant les impacts permanents, 1,6 km de cours d’eau ont été détruits sans aucune mesure de compensation ; la section d’écoulement du ruisseau de A... au droit des travaux a été remblayée en vue d’accueillir une buse qui est à l’origine d’une diminution importante de la section d’écoulement des eaux ; le lit mineur du ruisseau et de son affluent ont été modifiés ce qui cause un préjudice d’autant plus important que le bassin versant est fragile d’un point de vue hydrologique ; une zone humide a été détruite alors que leur préservation constitue un objectif d’intérêt général au sens de l’article L. 211-1-1 du code de l’environnement ; la retenue de A... a été mise en eau dès le mois d’avril 2020, soit 920 000 m², ainsi que s’en est félicité le vice-président de la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne et le président de l’ASA des irrigants de A... et est utilisée par les agriculteurs depuis le courant du mois de juin 2020, alors que la préfète avait pourtant enjoint au président de la CA 47, dès le 2 décembre 2019, de vider la retenue qui présentait un risque avéré de rupture ce qui l’a conduit à solliciter de la préfète la mise en œuvre de ses pouvoirs de police en application du II de l’article L. 171-8 du code de l’environnement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juin 2019, la Chambre d'agriculture de Lot-et-Garonne, représentée par Me Thierry Gasquet, conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- à la date de retrait de l’autorisation, les travaux de défrichement avaient été intégralement réalisés, dans le strict respect des prescriptions de l’arrêté d’autorisation ;

- l’indemnisation sollicitée au titre du préjudice moral des requérantes ne présente pas de caractère personnel.

Par ordonnance du 8 avril 2021, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 23 avril 2021 à 12 heures.

Le tribunal a demandé le 21 juin 2022 la production de pièces complémentaires, sans rouvrir l’instruction, pièces produites le 22 juin 2022 et communiquées aux parties le jour même.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la demande préalable.

Vu :

- le code de l’environnement ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de Mme Billet-Ydier,

- les conclusions de M. Naud, rapporteur public,

- et les observations de Me Terrasse, représentant la fédération France Nature Environnement et la société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest,

- la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne n’étant ni présente ni représentée.

Considérant ce qui suit :

1. En juin 2017, le syndicat départemental des collectivités irrigantes de Lot-et-Garonne (SDCI 47) a déposé auprès des services du préfet de Lot-et-Garonne une demande d’autorisation pour la création et l’exploitation, sur le territoire de la commune de L..., d’une retenue d’eau dite « de A... » à usage d’irrigation et de soutien d’étiage. Le 29 juin 2018, le préfet de Lot-et-Garonne a fait droit à cette demande en délivrant au SDCI 47 une autorisation environnementale tenant lieu d’autorisation d’aménagement de la retenue d’eau au titre de l’article L. 214-3 du code de l'environnement, de dérogation à l’interdiction d’atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats au titre du 4° de l’article L. 411-2 du code de l'environnement et d’autorisation de défrichement en application de l’article L. 341-3 du code forestier. Par une demande enregistrée le 17 septembre 2018 au greffe du tribunal administratif de Bordeaux sous le n°1804061, la fédération France Nature Environnement (FNE) et la société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le sud-ouest (SEPANSO) ont demandé l’annulation de l’arrêté d’autorisation du 29 juin 2018.

2. Le préfet de Lot-et-Garonne a retiré cette autorisation par un arrêté du 15 octobre 2018. Le SDCI 47 a saisi, le 24 octobre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux d’une demande, enregistrée sous le n°1804669, tendant à l’annulation de l’arrêté de retrait du 15 octobre 2018. La chambre d'agriculture de Lot-et-Garonne et l’association syndicale autorisée d’irrigation de A... sont intervenues à l’instance au soutien des conclusions à fin d’annulation de cet arrêté de retrait. La fédération FNE et la SEPANSO sont également intervenues à l’instance pour conclure au rejet de la demande du SDCI 47.

3. Par un jugement en date du 28 mars 2019, le tribunal administratif de Bordeaux, après avoir joint les deux demandes et admis la recevabilité des interventions présentées dans l’affaire n°1804669, a rejeté les conclusions dirigées contre l’arrêté de retrait du 15 octobre 2018 et jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d’annulation de l’autorisation du 29 juin 2018.

4. La cour administrative d’appel de Bordeaux a, par un arrêt n°19BX02219 du 23 février 2021, devenu définitif, estimé que le retrait de l’autorisation environnementale délivrée à la chambre d’agriculture de la Dordogne, le 29 juin 2018, par l’arrêté du 15 octobre 2018 n’était pas entaché d’illégalité.

5. Par la présente requête, la fédération FNE et la SEPANSO demandent l’indemnisation des préjudices qu’elles estiment avoir subis à raison de la faute commise par la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne.

Sur les conclusions à fin d’indemnisation :

En ce qui concerne la faute :

6. Il résulte de l’instruction que la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne, qui n’était pas bénéficiaire de l’autorisation environnementale tenant lieu d’autorisation d’aménagement de la retenue d’eau au titre de l’article L. 214-3 du code de l'environnement initialement accordée par un arrêté de la préfète de Lot-et-Garonne en date du 29 juin 2018, a poursuivi la réalisation des travaux de la retenue d’eau dite « de A... » à usage d’irrigation et de soutien d’étiage du 23 octobre 2018 au 26 mai 2019, postérieurement à la décision de retrait du 15 octobre 2018 laquelle lui a été régulièrement notifiée le 23 octobre 2018. Ce faisant, la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne le préjudice :

7. Aux termes de l’article L. 142-1 du code de l’environnement : « Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. / Toute association de protection de l'environnement agréée au titre de l’article L. 141-1 justifie d’un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec son objet et ses activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elle bénéficie de l’agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de son agrément ».

8. Aux termes de l’article 1er de ses statuts, l’association France nature environnement, agréée pour la protection de l’environnement en vertu de l’article L. 141-1 du code de l’environnement, a notamment pour objet « la protection de la nature et de l’environnement, (…) et notamment de : conserver et restaurer les espaces, ressources, milieux et habitats naturels, terrestres et marins, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres fondamentaux de la biosphère, l’eau, l’air, le sol, le sous-sol, les sites et paysages, le cadre de vie » et d’assurer « la défense en justice (…) de tous les intérêts et notamment de ceux résultant de l’objet de chaque association fédérée ou définis par l’agrément délivré au titre de l’article L. 141-1 du code de l’environnement ».

9. Il résulte de l’instruction que la SEPANSO, agréée pour la protection de l’environnement en vertu de l’article L. 141-1 du code de l’environnement, est une association agréée. En vertu de ses statuts, elle a pour objet « la sauvegarde dans les départements d’Aquitaine (Dordogne, Gironde, Landes, Lot-et-Garonne, Pyrénées-Atlantiques) et éventuellement dans les départements voisins, la faune et la flore naturelles en même temps que le milieu dont elles dépendent, ainsi que le cadre de vie ».

10. Estimant que les travaux de construction de la retenue d’eau se poursuivaient en dépit du retrait de l’autorisation, la fédération France nature environnement a demandé au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, d’enjoindre à l’autorité préfectorale de mettre en œuvre les pouvoirs de police qu’elle tient des articles L. 171-7 et suivants du code de l’environnement. Par ordonnance n°1804728 du 30 novembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à cette demande. Par arrêté du 14 décembre 2018 la préfète de Lot-et-Garonne a, d’une part, mis en demeure le syndicat départemental des collectivités irrigantes de Lot-et-Garonne de régulariser la situation administrative, en déposant un dossier de demande d’autorisation environnementale ou, à défaut, de remettre le site en l’état, d’autre part, prononcé la suspension, avec effet immédiat, de tous travaux et opérations sur le site de ladite retenue d’eau. Estimant que les mesures prises par la préfète étaient insuffisantes, la fédération France Nature Environnement a demandé au juge des référés de prescrire les mesures d’exécution de l’ordonnance du 30 novembre 2018. Par ordonnance n°1805542 du 15 janvier 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a enjoint à la préfète de Lot-et-Garonne de mettre en œuvre des mesures ou sanctions prévues par le II de l’article L. 171-8 et par l’article L. 171-10 du code de l’environnement, aux fins de faire cesser la construction de la retenue d’eau. Par arrêté du 17 janvier 2019, la préfète de Lot-et-Garonne a ordonné l’apposition de scellés sur les engins de chantier présents sur le site. Par arrêté du 18 mars 2019, la préfète de Lot-et-Garonne a mis en demeure la chambre d’agriculture de régulariser la situation administrative sous huit jours et de cesser les travaux. Estimant qu’il n’avait pas été déféré à ladite mise en demeure, la préfète de Lot-et-Garonne a, par arrêté du 3 mai 2019, ordonné la cessation définitive des travaux, la suppression de l’ouvrage dans un délai de trois mois, le dépôt dans un délai de vingt jours d’un dossier d’évaluation des impacts des travaux réalisés, l’ensemble sous astreinte de 500 euros par jour de retard, la remise en état du site à ses frais dans un délai de dix-huit mois et la consignation dans un délai de dix jours de la somme de 1 082 000 euros correspondant aux travaux de suppression de l’ouvrage. Les associations requérantes ont formulé un référé suspension assorti d’une requête au fond tendant à l’annulation de l’arrêté du 29 juin 2018 et présenté des observations dans la requête du SDCI de Lot-et-Garonne tendant à l’annulation de l’arrête du 15 octobre 2018 tant en première instance qu’en appel. La chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne a été condamnée le 10 juillet 2020, pour le tribunal judiciaire d’Agen, à une amende de 40 000 euros dont 20 000 euros assortie d’un sursis, jugement confirmé sur ce point par la cour d’appel d’Agen par arrêt du 13 janvier 2022 devenu définitif.

11. Il résulte de l’instruction que la poursuite des travaux de réalisation de la retenue d’eau en dépit du retrait de l’autorisation initiale et des décisions prises par le tribunal administratif de Bordeaux saisi par les associations requérantes ont été de nature à porter atteinte à leur crédibilité, à remettre en cause leurs efforts au plan local et donc à entraver la réalisation de leur objet social. Dès lors, les associations requérantes démontrent l’existence d’un préjudice moral direct, certain et personnel.

12. Le fait générateur du préjudice invoqué par les associations requérantes réside dans les agissements de la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne tels qu’ils ont été précédemment décrits.

13. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne à verser à l’association France nature environnement (FNE) et l’association société pour l’étude la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (SEPANSO), la somme de 25 000 euros chacune à raison de leur préjudice moral.

Sur les frais liés à l’instance :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne le versement, d’une part à l’association France nature environnement (FNE) et d’autre part, l’association société pour l’étude la protection et l’aménagement de la nature dans le sud-ouest (SEPANSO), d’une somme de 1 000 euros chacune.

D E C I D E :

Article 1er : La chambre d'agriculture de Lot-et-Garonne est condamnée à verser à l’association France nature environnement (FNE) et l’association société pour l’étude la protection et l’aménagement de la nature dans le sud-ouest (SEPANSO), la somme de 25 000 euros chacune.

Article 2 : La chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne versera, d’une part à l’association France nature environnement (FNE) et d’autre part, l’association société pour l’étude la protection et l’aménagement de la nature dans le sud-ouest (SEPANSO), une somme de 1 000 (mille) euros chacune en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à l'association France nature environnement, à l'association société pour l’étude la protection et l’aménagement de la nature dans le sud-ouest et à la chambre d'agriculture de Lot-et-Garonne.

Copie en sera délivrée au préfet de Lot-et-Garonne.