Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 16 juin 2020 et le 1er mars 2022, Mme A... B..., représentée par Me Bach, demande au tribunal :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 juillet 2019 par laquelle le rectorat de Bordeaux a rejeté sa demande de reconnaissance d’accident de trajet ;

2°) d’enjoindre à la rectrice de l’académie de Bordeaux de reconnaitre l’accident du 27 mars 2019 comme accident de trajet et de prendre en charge tous les arrêts de travail en résultant, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à compter du jugement ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision est signée par une autorité incompétente ;

- le décision n’indique pas la qualité de son signataire ;

- le rectorat, employeur principal de Mme B..., a en application de la circulaire du 30 janvier 1989 relative à la protection sociale des fonctionnaires et stagiaires de l’Etat contre les risques maladies et accidents de service, commis une erreur de droit en refusant de reconnaitre l’accident du 27 mars 2019 ; ses arrêts de travail sont en lien avec son accident de trajet et ne peuvent donner lieu à congé de maladie ordinaire ;

- il n’y a pas double prise en charge, mais il appartient au rectorat de prendre en charge les arrêts de travail découlant de l’accident sans application de jour de carence ;

- elle n’a pas été informée de la nécessité d’une double déclaration d’accident de trajet ; l’université aurait dû transmettre sa demande au rectorat ; la déclaration à l’université constitue un motif légitime justifiant l’absence de déclaration dans le délai de de quinze jours.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 janvier 2022, la rectrice de l'académie de Bordeaux conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la décision attaquée n’est pas susceptible de recours ;

- les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Vu la décision attaquée et les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de Mme Patard,

- les conclusions de Mme Jaouën, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bach, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., professeure certifiée de lettres modernes, est enseignante au collège Montesquieu de La Brède. Elle a été autorisée, pour l’année 2018-2019, à cumuler son activité d’enseignement dans cet établissement avec des vacations à l’université de Bordeaux. Elle a été victime le 27 mars 2019 d’un accident de la circulation alors qu’elle quittait l’université de Bordeaux et regagnait son domicile. Elle a été placée en arrêt de travail à compter du 27 mars 2019 et a repris ses fonctions le 17 avril 2019. Cet accident a été reconnu imputable au service et pris en charge par l’université de Bordeaux. Mme B... ayant été placée en congé de maladie ordinaire par le rectorat de Bordeaux, elle a sollicité le 5 juillet 2019 la reconnaissance de son accident de trajet par le rectorat. Par un courriel du 10 juillet 2019, le rectorat de l’académie de Bordeaux l’a informée que sa demande de reconnaissance d’un accident de trajet était tardive, et lui a indiqué que cet accident ayant déjà fait l’objet d’une prise en charge par l’université, il ne pouvait être pris en charge par le rectorat, ses arrêts de travail devant en conséquence être imputés sur ses droits à congés de maladie ordinaire. Mme B... demande au tribunal l’annulation de cette décision.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

2. Par le courriel du 10 juillet 2019, le rectorat de Bordeaux a « classé sans suite » la demande de reconnaissance de l’accident du 27 mars 2019 présentée le 10 juillet 2019 par Mme B... aux motifs que la demande a été présentée tardivement et que l’accident n’est pas imputable au service de l’enseignement du second degré. Ce courriel ne peut être regardée que comme une décision de rejet de la demande de Mme B... de reconnaissance de l’imputabilité au service de l’accident du 27 mars 2019. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la rectrice de l’académie de Bordeaux et tirée de ce que la décision ne ferait pas grief ne saurait être accueillie.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée est signée par « C.... D... ». Le rectorat de Bordeaux ne produit aucun élément de nature à établir que ce signataire bénéficiait d’une délégation régulièrement publiée à l’effet de signer les décisions portant refus de reconnaissance d’accident de service. Dès lors, la décision en litige, doit être regardée comme ayant été prise par un signataire incompétent, ainsi que le soutient la requérante.

4. En second lieu, et d’une part, aux termes de l’article 47-2 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : « Pour obtenir un congé pour invalidité temporaire imputable au service, le fonctionnaire, ou son ayant-droit, adresse par tout moyen à son administration une déclaration d'accident de service, d'accident de trajet ou de maladie professionnelle accompagnée des pièces nécessaires pour établir ses droits. La déclaration comporte : 1° Un formulaire précisant les circonstances de l'accident ou de la maladie. Un formulaire type est mis en ligne sur le site internet du ministère chargé de la fonction publique et communiqué par l'administration à l'agent à sa demande ; 2° Un certificat médical indiquant la nature et le siège des lésions résultant de l'accident ou de la maladie ainsi que, s'il y a lieu, la durée probable de l'incapacité de travail en découlant. ». Aux termes de l’article 47‑3 du même décret : « I. - La déclaration d'accident de service ou de trajet prévue à l'article 47-2 est adressée à l'administration dans le délai de quinze jours à compter de la date de l'accident. Ce délai n'est pas opposable à l'agent lorsque le certificat médical prévu au 2° de l'article 47-2 est établi dans le délai de deux ans à compter de la date de l'accident. Dans ce cas, le délai de déclaration est de quinze jours à compter de la date de cette constatation médicale. (…) IV. - Lorsque les délais prévus aux I et II ne sont pas respectés, la demande de l'agent est rejetée. Les délais prévus aux I, II et III ne sont pas applicables lorsque le fonctionnaire entre dans le champ de l'article L. 169-1 du code de la sécurité sociale ou s'il justifie d'un cas de force majeure, d'impossibilité absolue ou de motifs légitimes. ». Aux termes de l’article 22 du décret du 21 février 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique de l'Etat : « (…) Les conditions de forme et de délais prévues aux articles 47-2 à 47-7 du décret du 14 mars 1986 précité ne sont pas applicables aux fonctionnaires ayant déposé une déclaration d'accident ou de maladie professionnelle avant l'entrée en vigueur du présent décret. Les délais mentionnés à l'article 47-3 du même décret courent à compter du premier jour du deuxième mois suivant la publication du présent décret lorsqu'un accident ou une maladie n'a pas fait l'objet d'une déclaration avant cette date. ». Il résulte de ces dispositions que le délai prévu par l’article 47‑3 du décret du 14 mars 1986 commence à courir, en application des dispositions transitoires prévues par l’article 22 du décret du 21 février 2019, à compter du premier jour du deuxième mois suivant la publication de ce dernier texte, soit le 1er avril 2019.

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été victime le 27 mars 2019 d’un accident survenu sur son trajet entre l’université de Bordeaux, où elle exerçait une activité accessoire autorisée par le rectorat, et son domicile. Elle a déclaré cet accident auprès de l’université de Bordeaux le 7 avril 2019, soit dans le délai de quinze jours requis par les dispositions précitées. L’université a reconnu l’imputabilité au service de cet accident et a pris en charge ses soins. Toutefois, en dépit de cette reconnaissance, le rectorat l’a placée en congé de maladie ordinaire et lui a prélevé des jours de carence. La rectrice de l’académie de Bordeaux fait valoir que Mme B... n’a sollicité de ses service la prise en charge de cet accident que le 10 juillet 2019, soit au-delà du délai de déclaration de quinze jours. Toutefois, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, qui tiennent au fait que Mme B... exerce à titre principal les fonctions de professeur certifiée de lettre moderne en collège dans l’éducation nationale ainsi qu’une activité accessoire auprès de l’université de Bordeaux, acceptée par le rectorat, et qu’elle n’a pas été informée que sa demande de reconnaissance d’accident de trajet devait être également adressée à son employeur principal, la requérante justifie d’un motif légitime, au sens du IV de l’article 47-3 du décret du 14 mars 1986, de nature à rendre inopposable à son encontre le délai prévu au I du même article. Dès lors, la rectrice de l’académie de Bordeaux ne peut opposer à la requérante la tardiveté de sa déclaration d’accident.

6. D’autre part, aux termes de l’article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : « I.- Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. Ces définitions ne sont pas applicables au régime de réparation de l'incapacité permanente du fonctionnaire. / Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. La durée du congé est assimilée à une période de service effectif. L'autorité administrative peut, à tout moment, vérifier si l'état de santé du fonctionnaire nécessite son maintien en congé pour invalidité temporaire imputable au service. / II.- Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service. / III.- Est reconnu imputable au service, lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit en apportent la preuve ou lorsque l'enquête permet à l'autorité administrative de disposer des éléments suffisants, l'accident de trajet dont est victime le fonctionnaire qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s'accomplit son service et sa résidence ou son lieu de restauration et pendant la durée normale pour l'effectuer, sauf si un fait personnel du fonctionnaire ou toute autre circonstance particulière étrangère notamment aux nécessités de la vie courante est de nature à détacher l'accident du service. (…) V.- L'employeur public est subrogé dans les droits éventuels du fonctionnaire victime d'un accident provoqué par un tiers jusqu'à concurrence du montant des charges qu'il a supportées ou supporte du fait de cet accident. Il est admis à poursuivre directement contre le responsable du dommage ou son assureur le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées audit fonctionnaire pendant la période d'indisponibilité de celui-ci par dérogation aux dispositions de l'article 2 de l'ordonnance n° 59- 76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques. ».

7. En application de ces dispositions, la collectivité publique qui emploie un agent doit supporter les conséquences financières d’un accident survenu à l’occasion du service. Lorsque l’agent exerce pour le compte d’une tierce collectivité publique une activité accessoire autorisée par l’employeur principal, cette charge incombe à ce dernier alors même que l’accident est survenu dans l’exercice de l’activité accessoire.

8. Il résulte de ce qui précède que le rectorat de Bordeaux, en sa qualité d’employeur principal de Mme B..., devait prendre en charge les arrêts et soins occasionnés par l’accident de trajet du 27 mars 2019. Si le rectorat soutient qu’il ne saurait y avoir une double prise en charge d’un même évènement, il est constant que l’université de Bordeaux n’a pas pris en charge les arrêts de travail de l’intéressée résultant de l’accident du 27 mars 2019, qui ont été imputés par les services de l’éducation nationale sur ses droits à congé de maladie ordinaire. Par suite, la rectrice de l’académie de Bordeaux a commis une erreur de droit en refusant de reconnaitre l’imputabilité au service de l’accident du 27 mars 2019 de Mme B... et de prendre en charge les arrêts de travail en lien avec cet accident.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à demander l’annulation de la décision du 10 juillet 2019.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

10. Eu égard au second motif d’annulation retenu, le présent jugement implique nécessairement qu’il soit enjoint à la rectrice de l’académie de Bordeaux de reconnaitre l'imputabilité au service de l’accident dont Mme B... a été victime le 27 mars 2019 et de prendre en charge ses arrêts de travail en lien avec cet accident. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de prescrire cette mesure dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement, sans qu’il soit besoin de prononcer une astreinte.

Sur les frais d’instance :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 10 juillet 2019 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à la rectrice de l’académie de Bordeaux de reconnaitre l’imputabilité au service de l’accident du 27 mars 2019 et de prendre en charge les arrêts de travail de Mme B... en lien avec cet accident.

Article 3 : l’État versera une somme de 1 500 euros à Mme B... au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme A... B... et à la rectrice de l'académie de Bordeaux.