Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 16 mars 2022 et une pièce complémentaire enregistrée le 21 mars 2022, l’association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » (RMP), représentée par Me Guez , demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 14 mars 2022 par lequel la préfète de la Gironde a prononcé la fermeture, pour une durée de six mois, du lieu de culte dénommé « Mosquée Al Farouk de Pessac », ... à Pessac.

L’association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » soutient que :

- fondée le 7 juin 2013 sous le régime de la loi du 1er juillet 1901, elle a pour objet la gestion du principal lieu de culte de la commune de Pessac, d’une surface de 350 m² ;

- elle dispose en outre, en vertu d’une convention conclue avec la commune le 11 janvier 2022, d’un local associatif de 240 m² attenant à la mosquée, pour son activité cultuelle, en particulier pendant le Ramadan ;

- la « visite domiciliaire » dont elle a fait l’objet en octobre 2020 n’a donné lieu à aucune suite, la mosquée étant très éloignée des accusations portées contre elle ;

- à la suite du courrier du 24 février 2022 de la préfète de la Gironde l’informant de son intention de fermer le lieu de culte sur le fondement de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, pour l’essentiel en raison des publications sur les réseaux sociaux, il a été procédé à la suppression de toutes celles en cause, au changement de l’animateur de la page Facebook et à la désignation d’un modérateur pour agir sur les commentaires de tiers ;

- la condition d’urgence est satisfaite, d’une part, compte tenu de la nature même de la décision, d’autre part, dès lors qu’elle empêche les fidèles de se réunir pendant le Ramadan, période de grande piété, enfin, eu égard aux termes de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure dont l’alinéa 3 prévoit le recours au référé liberté ; - en la privant de son lieu de culte, la mesure contestée porte atteinte aux libertés fondamentales que constituent la liberté de réunion, la liberté de culte et la liberté d’association ;

- la décision est intervenue à la suite d’une procédure irrégulière au regard de l’article L. 122-1 du code des relations entre le public et l’administration dès lors que la demande d’entretien que le mandataire de son choix avait formulée pendant le délai de la procédure contradictoire, demande qui proposait une date compatible avec les obligations de ce conseil et qui ne présentait aucun caractère abusif, a été rejetée par l’autorité préfectorale le 4 mars 2022 ;

- les griefs retenus par l’autorité préfectorale ne sont plus d’actualité depuis la procédure contradictoire ;

- les imans connus pour leur appartenance à la mouvance islamiste n’interviennent plus à la mosquée, outre que ni une telle appartenance, ni l’incitation au repli identitaire ne sont de nature à caractériser un comportement incitant à la commission d’acte de terrorisme, condition à laquelle l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure subordonne une mesure de fermeture ;

- s’agissant de l’accréditation de l’idée d’une islamophobie au sein de la communauté nationale, d’une part, les personnes de confession musulmane sont plus souvent discriminées que le reste de la population selon diverses sources, d’autre part, les publications sur ce sujet ont été supprimées ;

- concernant les publications hostiles à Israël, elles ont également été supprimées ;

- pour ce qui est du motif tiré du soutien à des organisations ou des personnes promouvant un islam radical, d’une part, la publication visée a été supprimée, outre qu’il est fait référence à un événement datant de 2019, d’autre part, le Conseil d’Etat n’a pas retenu, parmi les motifs justifiant la dissolution du « Collectif contre l’islamophobie en France » (CCIF), l’incitation à la commission d’acte de terrorisme ;

- les autres publications en litige, qui sont anciennes, la plus récente étant du 16 décembre 2021, ont été supprimées ;

- le motif tiré de ce que le 22 octobre 2021, de jeunes fidèles de la mosquée se sont accordés à justifier l’assassinat de Samuel Paty, d’autres s’abstenant de contester leur propos, est imprécis, en l’absence de toute information sur leurs identités, sur leur assiduité à la mosquée et sur le lieu de discussion ;

- l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure doit être appliqué sous la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-823 du 13 août 2021 sur la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 ;

- dès lors qu’elle a mis un terme, au cours de la procédure contradictoire, aux débordements qui ont pu se produire, la mesure contestée est manifestement disproportionnée.

Par un mémoire enregistré le 17 mars 2022, l’association « Rassemblement des Musulmans de Pessac », représentée par Me Guez, demande au juge des référés, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l’appui de sa requête tendant à la suspension de l’exécution de l’arrêté du 14 mars 2022 de la préfète de la Gironde, de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure à la Constitution.

L’association « Rassemblement des musulmans de Pessac » soutient que :

- l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure n’a pas fait l’objet d’un contrôle par le juge constitutionnel, notamment pas dans sa décision n° 2021-823 DC, qui a porté sur d’autres dispositions de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 ;

- l’article en cause, qui, du fait de son imprécision, permet la fermeture d’un lieu de culte à raison du comportement de tiers, porte atteinte à la liberté de culte, qui comprend le droit de tout individu d’exprimer les convictions religieuses de son choix dans le respect de l’ordre public, à la liberté d’association, qui constitue un principe fondamental posé par le préambule de la Constitution de 1946 et garanti par l’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, outre l’article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que l’article 11 de la convention européenne des droits de l’homme, ainsi qu’à la liberté de réunion ;

- en outre, dès lors qu’elle prévoit une mesure privative de liberté, qui présente un caractère collectif, l’examen des mesures prises sur le fondement de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure ressortit à la compétence du juge judiciaire, en application de l’article 66 de la Constitution.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 mars 2022 et une pièce complémentaire enregistrée ce même jour, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 21 mars 2022, la préfète de la Gironde soutient que les conditions posées par l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code des relations entre le public et l’administration ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Au cours de l’audience publique du 21 mars 2022 à 14h30, après le rapport, ont été entendues :

- les observations de Me Guez Guez, représentant l’association « Rassemblement des Musulmans de Pessac », qui a développé les moyens soulevés dans les écritures de cette dernière.

- les observations du directeur de cabinet du préfet délégué à la défense et à la sécurité Sud-Ouest, représentant la préfète de la Gironde, qui a confirmé les écrits de cette autorité.

La parole a été donnée en dernier lieu à la défense et la clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience, à 15h50.

L’association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » a déposé une note en délibéré le 22 mars 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Par la présente requête, l’association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 14 mars 2022 par lequel la préfète de la Gironde a prononcé la fermeture, pour une durée de six mois, du lieu de culte dénommé « Mosquée Al Farouk de Pessac ». Par mémoire distinct, l’association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » demande également au juge des référés, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure à la Constitution.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d’un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l’article 23-2 de la même ordonnance précise que : « En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’Etat (…) ».

3. Si l’association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » soutient que l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure est contraire à la liberté de culte, à la liberté d’association et à la liberté de réunion, le Conseil constitutionnel, par une décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, a, dans ses motifs, en particulier ceux énoncés au paragraphe 43, déclaré la disposition législative contestée conforme à la Constitution.

4. En outre, la liberté d’association, tant des fidèles que de l’association requérante, gestionnaire du lieu de culte « Mosquée Al Farouk de Pessac » n’est pas affectée par la fermeture de ce site. La question soulevée ne présente donc pas un caractère sérieux au sens des dispositions précitées s’agissant de cette liberté.

5. Au surplus, si l’association requérante soutient que l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure méconnaît l’article 66 de la Constitution qui dispose que « Nul ne peut être arbitrairement détenu. / L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi », les prescriptions critiquées ne mettent pas en cause la liberté individuelle que l’article précité de la Constitution place sous la protection de l’autorité judiciaire. Il s’ensuit qu’en invoquant cette disposition constitutionnelle, l’association requérante ne soulève pas davantage une question sérieuse de constitutionnalité.

6. Il résulte de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l’association requérante au Conseil d’État.

Sur les conclusions aux fins de suspension :

7. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

En ce qui concerne la condition d’urgence :

8. Il résulte de l’instruction et il n’est pas contesté que la décision en litige conduit à la fermeture du seul lieu de prière musulman sur le territoire de la commune de Pessac. D’une part, cette décision prive l’association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » du lieu d’exercice de son activité cultuelle. D’autre part, si la préfète de la Gironde fait valoir que les communes avoisinantes, notamment, disposent de lieux de culte de cette confession, la fermeture de la mosquée en cause aura nécessairement pour conséquence d’empêcher les fidèles non mobiles de pratiquer leur culte selon les modalités que celui-ci prescrit, et de rendre cette pratique compliquée pour les autres. Compte tenu du nombre de personnes susceptibles d’être concernées, la fermeture de la mosquée dont s’agit crée une situation d’urgence au sens de L. 521-2 du code de justice administrative.

En ce qui concerne l’atteinte à une liberté fondamentale :

9. Aux termes de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure : « I. Aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, le représentant de l’Etat dans le département (…) peut prononcer la fermeture des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes. / Cette fermeture, dont la durée doit être proportionnée aux circonstances qui l’ont motivée et qui ne peut excéder six mois, est prononcée par arrêté motivé et précédée d’une procédure dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre 1er du code des relations entre le public et l’administration ».

10. Il résulte de ces dispositions législatives ainsi que de l’interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 visée ci-dessus, que la mesure de fermeture d’un lieu de culte ne peut être prononcée qu’aux fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme et que les propos tenus en ce lieu, les idées ou théories qui y sont diffusées ou les activités qui s’y déroulent doivent soit constituer une provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d’actes de terrorisme, soit provoquer à la commission d’actes de terrorisme ou en faire l’apologie.

11. La provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d’actes de terrorisme, à la commission d’actes de terrorisme ou à l’apologie de tels actes peut, outre des propos tenus au sein du lieu de culte, résulter des propos exprimés, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, par les responsables de l’association chargée de la gestion de ce lieu ou par les personnes en charge du culte qui y officient ainsi que des propos émanant de tiers et diffusés dans les médias ou sur les réseaux sociaux relevant de la responsabilité de cette association ou de ces personnes en charge du culte.

12. Peut également révéler la diffusion, au sein du lieu de culte, d’idées ou de théories provoquant à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d’actes de terrorisme, à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie au sens des dispositions de ce même article, notamment, la fréquentation du lieu de culte par des tiers prônant ces idées ou théories, l’engagement en faveur de telles idées ou théories des responsables de l’association chargée de la gestion de ce lieu et des personnes en charge du culte qui y officient ou la présence, sur le lieu de culte ou dans des lieux contrôlés par l’association gestionnaire ou les officiants du culte, d’ouvrages ou de supports en faveur de ces idées ou théories.

13. Il appartient au juge des référés de s’assurer, en l’état de l’instruction devant lui, qu’en prescrivant la fermeture d’un lieu de culte sur le fondement de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, l’autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public, n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, que ce soit dans son appréciation de la menace que constitue le lieu de culte ou dans la détermination des modalités de la fermeture.

14. L’arrêté contesté est motivé, en premier lieu, par la circonstance que la « Mosquée Al Farouk de Pessac » accueille depuis plusieurs années des imams connus pour leur appartenance à la mouvance islamiste, s’illustrant par des propos radicaux, qu’elle diffuse grâce aux réseaux sociaux de l’association requérante ou des comptes des dirigeants et de ceux des principaux intervenants, incitant à méconnaître les lois de la République présentées comme incompatibles avec l’islam ainsi qu’au repli identitaire, et condamnant les musulmans ne partageant pas leur vision rigoriste, en deuxième lieu, par la dénonciation d’un acharnement à l’égard des musulmans afin d’accréditer l’idée d’une islamophobie de la communauté nationale et créer un ressentiment à l’encontre des institutions françaises, en troisième lieu, par la diffusion de publications haineuses à l’encontre d’Israël sous couvert de soutien au peuple palestinien, en quatrième lieu, par le soutien qu’apporte l’association à des organisations ou des personnes promouvant un islam radical, en cinquième lieu, par la proximité idéologique de l’association requérante avec des mouvements favorables à des actions terroristes.

15. Il résulte toutefois de l’instruction que, dans le cadre du débat contradictoire initié antérieurement à la décision attaquée, l’association requérante a supprimé de son site Facebook les publications auxquelles l’autorité préfectorale se référait dans la lettre du 24 février 2022 notifiant l’engagement de la procédure de fermeture administrative, en particulier celles présentant un caractère haineux à l’égard de la communauté juive. Ces suppressions sont certes récentes, comme le fait observer la préfète de la Gironde. Mais l’association a pris des mesures pour éviter le renouvellement de telles provocations à la haine en procédant au remplacement du gestionnaire du site, par ailleurs président de l’association, et en désignant un modérateur afin d’assurer audit site une bonne tenue.

16. Si la préfète de la Gironde reproche à l’association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » d’avoir fait intervenir des imans adeptes d’une pratique radicale de l’islam, il n’est pas établi par les pièces du dossier que, dans le cadre de leurs prêches au sein de la « Mosquée Al Farouk de Pessac », ils se soient livrés à des propos extrémistes de nature à encourager la haine et la violence à l’encontre des non-musulmans et un engagement dans le « djihad ».

17. Il n’est certes pas contestable, au vu des pièces produites, que l’association ou son président ont publié régulièrement sur leurs sites ou sur les réseaux sociaux des textes de tiers, aux thèses desquels ils se sont associés de manière évidente, qui, adoptant une posture volontairement victimaire, rendent les institutions françaises, y compris les juridictions, le personnel politique, voire la société française dans son ensemble, responsables d’un prétendu climat d’islamophobie et même, dans une publication du 19 octobre 2020, de l’assassinat de Samuel Paty dans l’intention non dissimulée de dédouaner d’une quelconque participation à ce crime toute personne se réclamant de la même confession ; ces écrits instillent également la nécessité d’un repli identitaire. Toutefois ces documents, qui ne font pas directement, ni même indirectement l’apologie d’actions de guérilla religieuse, ne peuvent être regardés, bien que révélateurs d’une contestation des principes régissant la République française, en particulier le principe de laïcité et la liberté d’expression lorsqu’elle conduit à la critique de la religion, comme provoquant à la haine, à la violence ou à la discrimination avec le risque de commission d’actes de terrorisme.

18. Par ailleurs, les publications relayées par l’association ou son président qui tendent à comparer la situation de la communauté musulmane dans la société française avec celle de la communauté juive en Allemagne à la fin des années 1930 sont à ce point dénuées de tout fondement et de toute réalité que, par leur outrance même, elles déconsidèrent leurs auteurs et par suite, dans une certaine mesure, les sites et pages numériques concernés. Il est vrai que l’association a relayé également, de manière récurrente, des thèses complotistes dès qu’étaient en cause des membres de la communauté ou des organisations d’obédience musulmane, y compris lorsqu’il est établi que ces organisations, dorénavant dissoutes, ont entretenu des liens avec la mouvance terroriste, dont elles ont cherché à justifier les actions. Parallèlement, l’association ou son président n’ont pas caché leur sympathie pour une organisation reconnue terroriste par plusieurs Etats. Néanmoins, si ces faits caractérisent un positionnement qui s’affranchit volontairement des valeurs républicaines, considérées au demeurant comme susceptibles de porter atteinte à l’expression et à la pratique des principes de l’islam, ces seuls éléments ne démontrent pas une volonté de l’association, dont les prétendus liens avec des mouvements terroristes ne ressortent pas des pièces du dossier, d’inciter à la haine et à la violence contre des personnes, notamment des personnes de confession israélite.

19. Enfin, si la préfète de la Gironde invoque d’autres circonstances, en particulier une discussion de fidèles le 22 octobre 2021, devant la mosquée, justifiant l’assassinat de Samuel Paty, les liens entre ces personnes et l’association ne sont pas suffisamment établis pour imputer à cette dernière une apologie du terrorisme.

20. Il résulte de tout ce qui précède qu’en décidant la fermeture de la « Mosquée Al Farouk de Pessac » pour la durée maximale de six mois, la préfète de la Gironde a édicté une mesure de police qui n’est pas proportionnée à l’objectif de prévention de la commission d’actes de terrorisme poursuivi par l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure. Par suite, la décision contestée porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte. Il y a lieu, dès lors, d’en suspendre l’exécution.

ORDONNE :

Article 1er : Il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil d’État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l’association « Rassemblement des Musulmans de Pessac ».

Article 2 : L’exécution de l’arrêté du 14 mars 2022 par lequel la préfète de la Gironde a prononcé la fermeture, pour une durée de six mois, du lieu de culte dénommé « Mosquée Al Farouk de Pessac » est suspendue.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » et au ministre de l’intérieur.

Copie sera adressée pour information à la préfète de la Gironde.