Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 février, 2 et 23 juin et 13 septembre 2021, les associations Vive la Forêt (VLF) et des riverains du lac de Lacanau (ARLL), représentées par Me François Ruffié, demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d’enjoindre à la préfète de la Gironde de produire ses échanges avec le maire, révélés par le courrier du 21 janvier 2021 ;

2°) d’annuler l’arrêté du 22 janvier 2021 par lequel la préfète de la Gironde a autorisé le défrichement de parcelles de bois situées sur les parcelles cadastrées AK1 et AK41 de la commune de Lacanau ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 200 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

L’association VLF et l’association ARLL soutiennent que :

- la consultation du public n’a pas été conforme à l’article L.123-19-1 du code de l’environnement, à défaut de mise à disposition du public de l’arrêté d’autorisation pour destruction d’espèces protégées signé le 18 décembre 2020 ;

- la consultation du public n’a pas été conforme à l’article L.123-19-1 du code de l’environnement, à défaut de mise à disposition du public de la note de présentation précisant le contexte et les objectifs du projet ;

- le document séparé relatif aux motifs de la décision, prévu à l’alinéa II de l’article L.123-19-1 du code de l’environnement n’a pas été mis en ligne à la date de la publication de l’arrêté ;

- le document de synthèse des observations n’indique pas quelles observations ont été prises en compte ;

- la consultation ne comportait pas une information fiable sur la superficie réellement concernée par le projet et celle qui fera l’objet d’un défrichement compte tenu des contradictions dans les documents, outre qu’aucune explication n’était fournie sur l’âge des arbres ;

- l’étude d’impact ne permet pas de saisir les incidences du défrichement sur les espèces protégées ;

- la demande d’autorisation de défrichement aurait dû faire l’objet d’une enquête publique ;

- l’autorisation ne respecte pas les prescriptions de l’architecte des bâtiments de France, en méconnaissance des articles L. 341-1 et R. 341-9 du code de l’environnement ;

- les options retenues pour les accès au site et les voies de circulation du pôle de santé ne sont pas conformes aux dispositions du règlement du plan de prévention des risques naturels prévisibles et d’incendie de forêt de Lacanau, approuvé par arrêté préfectoral du 19 octobre 2009 et méconnaissent l’article R. 111-4 du code de l’urbanisme, l’arrêté étant ainsi entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ;

- l’arrêté méconnaît l’article L. 341-3 du code forestier dès lors que la partie forestière du terrain d’assiette du projet, au sens du 4° de l’article L. 342-2 du même code est plus étendue de 1.74 hectares que la superficie retenue dans l’arrêté et est ainsi entaché d’une erreur manifeste d’appréciation du périmètre de l’autorisation de défrichement ; - l’arrêté méconnaît l’interdiction posée par l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme dès lors qu’il autorise le défrichement dans la bande des 100 mètres ;

- l’autorisation a été accordée en violation de l’article L. 121-23 du code de l’urbanisme dès lors que l’ensemble du terrain d’assiette de l’opération constitue « un espace remarquable » au sens de la loi littoral ;

- la partie du terrain d’assiette du projet en zone 1AU au plan local d’urbanisme qui est un « espace remarquable », au sens des articles L. 121-23 et R. 121-4 du code de l’urbanisme, aurait dû être classée en zone Nr ;

- l’empiètement de la superficie concernée par l’autorisation sur la zone Nr du règlement du plan local d’urbanisme, en vue de l’aménagement d’une infrastructure routière permettant le passage d’engins de secours, méconnaît l’article R. 121-5 du code de l’urbanisme ;

- le projet aurait dû faire l’objet de la procédure de mise à disposition du public prévue par l’article R. 121-6 du code de l'urbanisme dès lors que les travaux litigieux constituent des aménagements légers réalisés dans les espaces remarquables du littoral au sens des articles L. 121-23 et L. 121-24 du code de l’urbanisme ;

- l’autorisation est entachée d’erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions du 8e de l’article L. 341-5 du code forestier dès lors que d’une part, elle porte atteinte, à un espace remarquable et à la bande littorale et d’autre part, elle a un impact sur de nombreuses espèces protégées ;

- l’autorisation est entachée d’erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions du 9° de l’article L. 341-5 code forestier compte tenu du risque incendie ;

- la compensation prévue par l’arrêté, en application de l’article L. 341-6 du code forestier, est largement insuffisante et méconnaît les lignes directrices pour l’instruction des demandes de défrichement en Aquitaine du 9 juin 2015 ;

- la surface du défrichement aurait dû être réduite dès lors que la phase 2 du projet a été abandonnée, comme en atteste le courrier du 21 janvier 2021, adressé par le maire de la commune de Lacanau à la préfète de la Gironde.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 mai, 28 juin, 19 juillet et 28 septembre 2021, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par les associations VLF et ARLL ne sont pas fondés.

Par des mémoires, enregistrés les 21 avril, 16 juillet et 27 septembre 2021, la société en nom collectif (SNC) Moutchic, anciennement société civile de construction vente (SCCV) Moutchic, représentée par Me Bonneau, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge des associations requérantes de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761 1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par les associations VLF et ARLL ne sont pas fondés.

Par un courrier du 8 mars 2021, les associations VLF et ARLL ont été informées qu’à défaut de réception de la confirmation du maintien de leurs conclusions dans un délai d’un mois, elles seraient réputées s’en être désistées en application des dispositions de l’article R. 612-5-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 15 mars 2021, les associations requérantes ont maintenu les conclusions de leur requête.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l’environnement ;

- le code forestier ;

- le code de l’urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de Mme Lahitte,

- les conclusions de M. Naud, rapporteur public,

- les observations de Me Gualandi substituant Me Ruffié pour l’association Vive la forêt, représentée par son président M. B... à qui la parole a été donnée ainsi que pour l’association des riverains du lac de Lacanau représentée par M. W... président et Mme H..., vice-présidente ;

- les observations de Me Bonneau pour la SNC Moutchic, représentée par M. A..., gérant ;

- la préfète de la Gironde n’étant ni présente ni représentée.

Des notes en délibérée ont été présentées pour la SNC Moutchic les 14, 15 et 22 octobre 2021 et pour les associations requérantes le 15 octobre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. La société SCCV Moutchic a déposé un dossier de demande d’autorisation de défrichement n°20-040, déclaré complet le 29 avril 2020, portant sur une superficie de 3,5463 hectares de bois située sur le territoire de la commune de Lacanau, en vue de la création d’un pôle de santé. Par un arrêté du 22 janvier 2021, dont les associations VVL et ARLL demandent l’annulation, la préfète de la Gironde a autorisé le défrichement de parcelles de bois situées sur les parcelles cadastrées AK1 et AK41 pour une surface totale de 3,3883 hectares.

Sur les conclusions tendant à la communication de documents administratifs :

2. La préfète de la Gironde a communiqué, en cours d’instance, le courrier du maire de Lacanau en date du 18 janvier 2021. Par suite, les conclusions tendant à leur communication sont ainsi devenues sans objet.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

3. Aux termes de l’article L. 121-23 du code de l’urbanisme : « Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. / Un décret fixe la liste des espaces et milieux à préserver, comportant notamment, en fonction de l'intérêt écologique qu'ils présentent, les dunes et les landes côtières, les plages et lidos, les forêts et zones boisées côtières, les îlots inhabités, les parties naturelles des estuaires, des rias ou abers et des caps, les marais, les vasières, les zones humides et milieux temporairement immergés ainsi que les zones de repos, de nidification et de gagnage de l'avifaune désignée par la directive 79/409 CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages ». Aux termes de l’article R. 121-4 du même code : « En application de l'article L. 121-23, sont préservés, dès lors qu'ils constituent un site ou un paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral et sont nécessaires au maintien des équilibres biologiques ou présentent un intérêt écologique :1° Les dunes, les landes côtières, les plages et les lidos, les estrans, les falaises et les abords de celles-ci ; / 2° Les forêts et zones boisées proches du rivage de la mer et des plans d'eau intérieurs d'une superficie supérieure à 1 000 hectares ; / 6° Les milieux abritant des concentrations naturelles d'espèces animales ou végétales (…) / 7° Les parties naturelles des sites inscrits ou classés en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l'environnement (…) ».

4. Le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur l'application des dispositions de l'article L.121-23 du code de l'urbanisme en vertu desquelles les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques.

5. Pour apprécier si les parcelles en cause présentent le caractère de site ou paysage remarquable à protéger au sens du premier alinéa de l'article L.121-23 du code de l'urbanisme, l'autorité compétente ne peut se fonder sur leur seule continuité avec un espace présentant un tel caractère, sans rechercher si elles constituent avec cet espace une unité paysagère justifiant dans son ensemble cette qualification de site ou paysage remarquable à préserver.

6. Il ressort des pièces du dossier et notamment des plans et photographies produits que les parcelles cadastrées AK1 et AK41, sur lesquelles se trouvent le terrain d’assiette du projet de défrichement, sont classées, par le plan local d’urbanisme (PLU) de la commune de Lacanau du 11 mai 2017, pour partie, en zone Nr, « espaces naturels remarquables » au sens de la loi littoral. Cette zone Nr, essentiellement peuplée de pins et constituée de talus et merlons, est située au pied d’une dune boisée de pins, « espace boisé classé », classée également en zone Nr du PLU. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que le périmètre de la surface à défricher porte sur un terrain dépourvu de toute construction. Ce périmètre est en outre séparé d’un lotissement, situé au sud-ouest du projet, par un « espace boisé classé ». Il se situe également à proximité d’une zone, située au nord-est, ayant accueilli notamment un centre médico-scolaire et laissée à l’abandon depuis 1985, soit depuis plus de 36 ans à la date de la décision contestée. Si la parcelle AK 41 abrite, sur la lisière opposée au lotissement, trois anciens bâtiments à l’abandon, ces derniers ne font pas partie du périmètre de la surface à défricher. De plus, une partie du terrain d’assiette du projet de défrichement est située dans la bande littorale des 100 mètres du Lac de Lacanau, afin de permettre le raccordement du projet de création du pôle de santé, à l’Avenue du docteur C..., route longeant le lac et séparée du projet par un « espace vert protégé ». Les parcelles, sur lesquelles se trouvent le terrain d’assiette du projet de défrichement, sont également situées à 50 mètres du site Natura 2000 Zones humides de l’arrière dune du littoral girondin et à 230 mètres du site Natura 2000 Côte médocaine et dépressions humides. Enfin, il ressort du procès-verbal de reconnaissance des bois à défricher et du diagnostic écologique « habitats naturels » établi dans l’étude d’impact que les parties de parcelles concernées par la demande d’autorisation de défrichement sont constituées d’un boisement favorable à la biodiversité tels que des pins maritimes et des sous-bois regroupant des robiniers, arbousiers, ajoncs, et brande. En particulier, ce boisement est favorable à la présence du Milan noir, espèce d’oiseaux protégés dont il est constant qu’un nid est présent sur la zone à défricher. Il ressort, de plus, des pièces du dossier que le défrichement de ce boisement induira une perte d’habitat, d’aire de repos, de nourrissage et de reproduction pour des chiroptères ainsi que la destruction d’une station de lotier velu. Par suite, il ressort de l’ensemble de ces éléments que le terrain d’assiette du projet de défrichement, situé entre Carreyre et Le Moutchic, s’intègre dans une unité paysagère d’ensemble caractérisée notamment par une continuité boisée depuis la zone littorale du Lac de Lacanau jusqu’à la dune boisée, « espace boisée classée », classée en zone Nr. Dans ces conditions, et quand bien même le site est séparé de la rive du lac par une route et desservi au nord par une avenue et que la majeure partie du terrain est classée en zone à urbaniser par les documents locaux d’urbanisme, le terrain en litige, qui est situé dans une commune littorale, doit être regardé comme un espace naturel remarquable au sens de l’article L. 121-23 du code de l'urbanisme. En délivrant l’autorisation de défrichement contestée, la préfète de la Gironde a ainsi méconnu les dispositions des articles L. 121-23 et R. 121-4 du code de l’urbanisme.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que l’arrêté du 22 janvier 2021 par lequel la préfète de la Gironde a autorisé le défrichement de parcelles de bois, situées sur les parcelles cadastrées AK1 et AK41 de la commune de Lacanau, doit être annulé.

Sur les frais de justice :

8. Les dispositions de l'article L. 761‑1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des associations requérantes VLF et ARLL qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que demande la SNC Moutchic sur le fondement de ces dispositions.

Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à charge de l’Etat la somme globale de 1 200 euros à verser aux associations VLF et ARLL au titre des frais qu’elles ont exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions aux fins de communication des échanges de la préfète de la Gironde avec le maire de la commune de Lacanau, révélés par le courrier du 21 janvier 2021.

Article 2 : L’arrêté du 22 janvier 2021 par lequel la préfète de la Gironde a autorisé le défrichement de parcelles de bois situées sur les parcelles cadastrées AK1 et AK41 sur la commune de Lacanau est annulé.

Article 3 : L’Etat versera la somme globale de 1 200 (mille deux cents) euros aux associations Vive la forêt et Des riverains du lac de Lacanau sur le fondement de l'article L. 761‑1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la SNC Moutchic au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.