Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 4 septembre 2021, M. E... C... et l’association pour la promotion du naturisme en liberté (APNL) demandent au juge des référés d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l’arrêté du 3 septembre 2021 par lequel la préfète de la Gironde a interdit la manifestation dénommée « World Naked Bike Ride Bordeaux 2021 », le dimanche 5 septembre 2021.

Ils soutiennent que :

Sur l’urgence : - ainsi qu’il a déjà été jugé, l’imminence d’une manifestation interdite, comme c’est le cas de la manifestation en litige, devant se dérouler le 5 septembre 2021 soit dans un jour et dix-sept heures et 30 minutes heures, créé une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Sur l’atteinte grave et manifestement illégale à des libertés fondamentales : - la liberté de manifester et la liberté d’expression constituent des libertés fondamentales ; la Cour européenne des droits de l’Homme a considéré que la nudité pouvait être un moyen d’expression dans un arrêt Gough contre Royaume-Uni ; s’agissant de la liberté de manifester, de la même manière que pour la liberté d’expression, la circonstance qu’une manifestation soit susceptible de heurter une partie de l’opinion ne peut pas justifier son interdiction (CEDH 12 juillet 2005 Guneri et autres contre Turquie), les pouvoirs publics ont l’obligation de protéger le droit de réunion pacifique et de s’abstenir d’apporter des restrictions abusives à ce droit (CEDH 20 février 2003 Djavit An contre Turquie) ; le Conseil d’Etat dans une décision du 13 juin 2020 n°440846 a considéré que la liberté de manifester et de se réunir constituent des libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-3 du code de justice administrative ; - l’interdiction fondée sur l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, est entachée d’une erreur d’appréciation, dès lors que le fait d’être nu dans l’espace public ne permet pas de caractériser le délit d’exhibition sexuelle mentionné à l’article 222-32 du code pénal et n’est pas de nature à créer un trouble à l’ordre public ; le simple fait d’être nu en public ne caractérise pas le délit d’exhibition sexuelle ; en outre les manifestations « World Naked Bike Ride » antérieures qui se sont déroulées dans d’autres Etats ont été accueillies avec bienveillance et le sourire du public et ne causent aucun trouble à l’ordre public ; en tout état de cause, à supposer que les éléments constitutifs de cette infraction soient réunis, la nudité en public s’inscrit dans une démarche politique et philosophique qui relève de la liberté d’expression et l’interdire caractérise une ingérence disproportionnée dans son exercice (Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt n°35 26 février 2020 19-81.827).

Le tribunal a adressé, le 4 septembre 2021 à 14 heures 55, aux requérants une demande de production des pièces annoncées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénal ;

- le code des relations entre le public et l’administration ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme Billet-Ydier, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Au cours de l’audience publique tenue en présence de Mme W., greffière d’audience, Mme Billet-Ydier a lu son rapport et entendu :

- Les observations de M. C..., qui est administrateur de l’APNL, qui conclut aux mêmes fins que ses écritures par les mêmes moyens et qui indique ne pas avoir pu adresser les pièces annoncées dans ses écritures et informe le juge des référés qu’une manifestation similaire a eu lieu l’an dernier à Rennes sans incident, le trajet ayant été autorisé à l’extérieur du centre-ville. Il insiste plus particulièrement sur l’absence de délit, la nudité ne pouvant se confondre avec une exhibition sexuelle.

- Et de Mme A..., directrice de cabinet de la préfète de la Gironde, qui conclut au rejet de la requête et insiste sur les risques liés à l’ordre public compte tenu de l’itinéraire sollicité et de la qualification pénale d’exhibition sexuelle, les organisateurs appelant à défiler nu.

La clôture d’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience à 17 heures 35.

Considérant ce qui suit :

1. L'association pour la promotion du naturisme en liberté et le mouvement naturiste ont déclaré, par courrier du 20 août 2021, auprès de la préfecture de la Gironde, la manifestation dite « World Naked Bike Ride » Bordeaux 2021 qu’elles souhaitaient organiser le 5 septembre 2021 à Bordeaux dont le départ était fixé à 14 heures et l’arrivée à 17 heures. Par arrêté du 3 septembre 2021, la préfète de la Gironde a interdit cette manifestation sur le parcours déclaré. L'association pour la promotion du naturisme en liberté et M. C..., administrateur de cette association, et en son nom propre, demandent, par la présente requête, au juge des référés statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative d’ordonner la suspension de cet arrêté.

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ».

3. La liberté d’expression et de communication, garantie par la Constitution et par les articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et dont découle le droit d’expression collective des idées et des opinions, constitue une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Son exercice, notamment par la liberté de manifester ou de se réunir, est une condition de la démocratie.

4. Par l’arrêté contesté du 3 septembre 2021, la préfète de la Gironde a interdit la manifestation déclarée le 20 août 2021 par l'association pour la promotion du naturisme en liberté et le mouvement naturiste. Eu égard à l’imminence de cette manifestation prévue le dimanche 5 septembre 2021 à 14 heures, la condition d’urgence qui s’attache à la liberté de manifester est remplie.

5. Aux termes de l’article 222-32 du code pénal : « L'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ». L’exhibition sexuelle, qui vise à réprimer le fait de montrer tout ou partie de ses organes sexuels à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public, est susceptible d’entraîner des troubles à l’ordre public.

6. Le respect de la liberté de manifestation qui doit être concilié avec le respect de l'objectif de valeur constitutionnelle de maintien de l’ordre public ne fait pas obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir de police interdise une activité si une telle mesure est seule de nature à prévenir un trouble à l'ordre public.

7. Il résulte de l’instruction et des propos tenus à l’audience par les parties, ainsi que des pièces produites, que la déclaration de manifestation adressée par les associations requérantes à la préfète de la Gironde le 20 août 2021, concernait un cheminement en bicyclette d’une distance de 19,7 kilomètres dont le point de départ, dimanche 5 septembre 2021 à 14 heures, était fixé au Parc bordelais. L’itinéraire devait passer place Pey-Berland, devant la mairie et la cathédrale Saint-André, puis quartier Saint-Genès, la gare Saint-Jean, le pont Saint-Jean, quai Deschamps, le pont de Pierre, quai Richelieu, quai Louis XVIII, quai des Chartrons, quai de Bacalan, Cité du vin, cour Balguerie Stuttenberg, pour rejoindre ensuite le Jardin public et les boulevards avant de revenir à son point de départ, à 17 heures, au Parc bordelais. Le port de vêtements était facultatif sur le parcours de la manifestation, permettant aux participants d’exposer leurs organes sexuels à la vue d’autrui compte tenu de leur nudité complète.

8. En interdisant la manifestation « World Naked Bike Ride Bordeaux 2021 », eu égard au but de la manifestation et à ses motifs portés à la connaissance du public par le site Internet du mouvement naturiste qui appelle le public à y participer, « complètement dévêtus ou déguisés à leur guise » au Parc Bordelais dimanche 5 septembre à 14 heures et à « sillonner la ville » ce qui est de nature à troubler l’ordre public, la préfète de la Gironde n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation alors même que le but de celle-ci est de « rouler ensemble pour le climat, la biodiversité et les libertés », aux termes de l’affiche diffusée qui représente au demeurant deux cyclistes nus sur un tandem, compte tenu de l’ampleur du parcours, des lieux traversés, de l’horaire choisi, de l’itinéraire traversant les principaux lieux touristiques du centre-ville de Bordeaux et parcs publics et des moyens de sécurité publique pouvant être alloués.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête présentée par M. C... et l’association pour la promotion du naturisme en liberté doit être rejetée.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de M. C... et de l’association pour la promotion du naturisme en liberté est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. E... C..., à l’association pour la promotion du naturisme en liberté et à la préfète de la Gironde.