Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 7 et 24 mai 2019, Bordeaux Métropole demande au tribunal d’homologuer la transaction conclue le 5 mars 2019 avec les sociétés Razel-Bec, ETPO, Fayat Entreprise TP, Sefi-Intrafor, Barbot CM et Baudin-Chateauneuf. ……………………………………………………………………………………………………...

La requête a été communiquée aux sociétés Razel-Bec, ETPO, Fayat Entreprise TP, Sefi-Intrafor, Barbot CM et Baudin-Chateauneuf qui n’ont pas produit.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- l’ordonnance du président du tribunal en date du 18 juin 2018 organisant une mission de médiation et désignant les personnes qui en sont chargées.

Vu :

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l’administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Lerner,

- les conclusions de M. Béroujon, rapporteur public,

- et les observations de Me Cabanes pour Bordeaux Métropole

Une note en délibéré présentée pour Bordeaux Métropole a été enregistrée le 26 juin 2019.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d’un appel d’offres restreint, Bordeaux Métropole a confié, par acte d’engagement du 28 juillet 2017, à un groupement conjoint constitué par les sociétés Razel-Bec, mandataire, ETPO, Fayat Entreprise TP, Sefi-Intrafor, Barbot CM et Baudin-Chateauneuf, le marché de construction du pont Jean-Jacques Bosc, désormais dénommé Simone Veil, de franchissement de la Garonne et de ses raccordements pour un montant de 69 874 690 euros. Le délai global d’exécution était de 32 mois. L’ordre de service marquant le démarrage du délai global et de la période de préparation de trois mois a été émis à effet du 1er septembre 2017. A la suite de l’identification, en novembre 2017, d’un phénomène naturel d’affouillement susceptible de perturber la construction des piles du pont, le groupement a demandé à Bordeaux Métropole une prolongation du délai d’exécution et un complément de rémunération. Bordeaux Métropole a rejeté cette demande. La société Razel-Bec et Bordeaux Métropole ont alors demandé conjointement, par une requête enregistrée le 15 juin 2018, au président du tribunal de désigner, sur le fondement des articles L. 213-1 et suivants du code de justice administrative, un médiateur afin de résoudre ce différend. Par ordonnance du 18 juin 2018, le président du tribunal a désigné un médiateur et son assistant technique. Bordeaux Métropole demande au tribunal d’homologuer la transaction conclue le 5 mars 2019 et approuvée par une délibération de son conseil en date du 15 février 2019.

2. D’une part, selon l’article L. 213-1 du code de justice administrative : « La médiation (…) s’entend de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux (…) parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur (…) ». Aux termes de l’article L. 213-3 du même code : « L’accord auquel parviennent les parties ne peut porter atteinte à des droits dont elles n’ont pas la libre disposition ». Et aux termes de l’article L. 213-4 du même code : « Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut, dans tous les cas où un processus de médiation a été engagé en application du présent chapitre, homologuer et donner force exécutoire à l’accord issu de la médiation ».

3. D’autre part, aux termes de l’article L. 423-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Ainsi que le prévoit l’article 2044 du code civil et sous réserve qu’elle porte sur un objet licite et contienne des concessions réciproques et équilibrées, il peut être recouru à une transaction pour terminer une contestation née (…) avec l’administration (…) ». Aux termes de l’article 2044 du code civil : « La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître » et aux termes de l’article 2048 de ce code : « Les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ». En application de ces dispositions, il appartient au juge, saisi d’une demande d’homologation d’une transaction, et, sous réserve que la transaction ait pour objet le règlement ou la prévention de litiges pour le jugement desquels la juridiction administrative serait compétente, de vérifier que les parties y consentent effectivement, que son objet est licite, qu’elle ne constitue pas de la part de la collectivité publique intéressée une libéralité et qu’elle ne méconnaît pas d’autres règles d’ordre public.

4. La transaction, dont Bordeaux Métropole demande au tribunal l’homologation, correspond à l’« avenant n°1 » du marché public de travaux de construction du pont Simone Veil. Aux termes de cet avenant, d’une part, une résiliation partielle est prononcée et le groupement attributaire ne conserve qu’une partie des travaux de génie civil du marché, notamment la trémie en rive gauche, les moyens d’accès provisoires en rivière, les sommiers des culées de l’ouvrage d’art principal et la plateforme de lancement, pour un montant de 22 784 185,98 euros. D’autre part, la société Baudin-Chateauneuf devient seule titulaire de l’ensemble des travaux de la charpente métallique du pont pour un montant de 16 622 352,56 euros. Enfin, il se déduit de l’annexe à l’avenant intitulée « interfaces entre les prestations de la société Baudin-Chateauneuf et celles du futur marché de génie civil » qu’il est prévu de passer un nouveau marché dit « CIV2 », lequel ne devra remettre en cause ni les ouvrages existants tels qu’ils sont conçus et réalisés, ni les prestations de la société Baudin-Chateauneuf.

5. En premier lieu, l’avenant rappelle en préambule le différend pour lequel la médiation avait été sollicitée, la demande de délai d’exécution et de prix supplémentaires présentée par le groupement. Mais son objet, mentionné à l’article I de l’avenant comme étant de « solder tout litige entre les parties dont le fait générateur est antérieur à la date du 18 décembre 2018 » et à l’article X dans une rédaction complétée selon laquelle « le présent avenant solde définitivement toute forme de litige qui a pu les opposer et dont le fait générateur est antérieur à la date du 18 décembre 2018 » est formulé de manière générale et imprécise. Ainsi, la transaction ne définit pas clairement la contestation à laquelle elle met fin. Dans cette mesure, elle n’est pas conforme aux dispositions de l’article 2048 du code civil précitées.

6. En deuxième lieu, sous couvert de l’avenant, Bordeaux Métropole conclut un nouveau marché avec la société Baudin-Chateauneuf pour les travaux de la charpente métallique. Ce marché s’élève à 16 622 352,56 euros alors que, selon l’annexe 4 de l’acte d’engagement du 28 juillet 2017, la part revenant à la société Baudin-Chateauneuf, qui était déjà en charge de la charpente métallique dans le marché initial, n’était que de 12 982 100 euros. Ce nouveau marché est conclu en méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence qui s’imposent à Bordeaux Métropole et donc des règles de passation des marchés publics, qui sont d’ordre public.

7. En troisième lieu, l’avenant comprend de la part de Bordeaux Métropole des concessions explicites. Aux termes de l’article III, elle s’engage à notifier au groupement attributaire un décompte général comprenant l’intégralité des montants composant la somme de 22 784 185,98 euros et formant l’annexe 1 de l’avenant, c'est-à-dire qu’elle s’engage à lui payer cette somme. La Métropole accepte de confier une partie des travaux à la seule société Baudin-Chateauneuf sans mise en concurrence. La Métropole accepte de passer un nouveau marché qui comporte pour le futur titulaire des obligations, au nombre de 31, précisément listées dans l’annexe « interfaces entre les prestations de Baudin-Chateauneuf et celles du futur marché de génie civil » qui sont particulièrement contraignantes en termes de planning et de coût. Ainsi, il est prévu un planning détaillé de mise à disposition des piles du pont et que le titulaire du marché devra rémunérer Baudin Chateauneuf pour ses moyens de levage à hauteur de 235 000 euros. Enfin, l’avenant prévoit que le groupement percevra 70 % des études d’exécution d’un montant de 477 413 euros alors qu’il ne réalisera pas l’ouvrage d’art principal. Des taux similaires se retrouvent sur l’ensemble des prix référencés comme étant des « prix généraux » qui devaient couvrir la totalité des travaux alors que le groupement n’en réalisera qu’environ le tiers. Le groupement percevra également 80 % des 3 730 935 euros des frais d’installation de chantier, qui se décomposent en trois fractions : 30 % pour l’amenée et le montage, 40 % au prorata de l’avancement, 30 % après démontage et remise en état des lieux bien qu’il n’aura pas à réaliser le démontage et la remise en état des lieux.

8. L’avenant implique également des concessions implicites de Bordeaux Métropole. D’une part, la renonciation à exiger du groupement cocontractant, comme elle en avait le droit, l’exécution de ses obligations contractuelles. D’autre part, alors que, selon l’acte d’engagement, le marché initial était un marché global, sans décomposition en tranches ou en lots et que l’ouvrage d’art principal et les ouvrages d’art sur les berges formaient un tout indivisible, l’accord transactionnel a comme conséquence que Bordeaux Métropole devra gérer trois marchés avec trois cocontractants différents avec les difficultés que cela implique en termes de coordination et de détermination des responsabilités.

9. Les concessions consenties par le groupement consistent à renoncer à une partie des travaux et à leur paiement. Les concessions consenties par Bordeaux Métropole, d’une part, et le groupement attributaire, d’autre part, sont ainsi déséquilibrées et doivent être qualifiées de libéralité.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête en homologation de Bordeaux Métropole doit être rejetée.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Bordeaux Métropole est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Bordeaux Métropole et aux sociétés Razel-Bec, ETPO, Fayat Entreprise TP, Sefi-Intrafor, Barbot CM et Baudin-Chateauneuf.