Vu les procédures suivantes :

I. Par une requête, enregistrée le 23 avril 2018 sous le n°1801697, M. A... demande au tribunal :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 janvier 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux a appliqué sur son traitement mensuel une retenue de 13 trentièmes pour service non fait du 23 janvier au 4 février 2018 inclus ;

2°) d’enjoindre au directeur interrégional des services pénitentiaires de lui rembourser les sommes retenues ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme d’un euro en réparation du préjudice moral causé par l’illégalité de la décision du 24 janvier 2018 ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 350 euros en application de l’article L. 761 1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision n’est pas motivée ;

- les congés maladie constituent une exception à la règle du service fait ;

- son arrêt de travail ne peut être regardé comme étant de complaisance et ses congés comme étant injustifiés en l’absence d’une contre-visite médicale et d’une mise en demeure de reprendre le service.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 mars, le 1er avril et le 2 mai 2019, la Garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- les moyens tirés de l’insuffisance de motivation et de l’absence de contre-visite médicale sont inopérants ;

- les autres moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés ;

- une retenue d’une journée doit, en tout état de cause, être effectuée au titre du jour de carence.

Les parties ont été informées, en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de l’irrecevabilité des conclusions indemnitaires en l’absence de liaison du contentieux.

II. Par une requête et des mémoires, enregistrés le 10 mai 2018, le 12 et 23 mai 2019 sous le n°1801917, M. A..., représenté par Me Poudampa, demande au tribunal :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 janvier 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux a appliqué sur son traitement mensuel une retenue de 13 trentièmes pour service non fait ainsi que la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé contre cette décision le 5 mars 2018 ;

2°) d’enjoindre à l’administration de réexaminer sa situation dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 80 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision n’est pas motivée ;

- il n’a pas été invité à présenter des observations avant que la décision ne soit prise ;

- une partie des jours retenus est postérieure à date de la décision ;

- les congés de maladie constituent une exception à la règle du service fait ;

- son arrêt de travail ne peut être regardé comme étant de complaisance et ses congés comme étant injustifiés en l’absence d’une contre-visite médicale et d’une mise en demeure de reprendre le service ;

- aucune retenue de traitement ne peut avoir lieu pour les jours non ouvrés et le jour de carence.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 mars, le 1er avril et le 2 mai 2019, la Garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- les moyens tirés de l’insuffisance de motivation et de l’absence de contre-visite médicale sont inopérants ;

- les autres moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés ;

- la retenue effectuée au titre du jour de carence résulte de l’application de l’article 115 de la loi du 30 décembre 2017.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2017-1387 du 30 décembre 2017 ;

- le décret n°86-442 du 14 mars 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Dufour,

- et les conclusions de M. Béroujon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M.A..., surveillant pénitentiaire affecté au pôle de rattachement des extractions judiciaires de Bordeaux, a adressé à son administration un avis d’arrêt de travail établi par un médecin généraliste pour la période du 23 janvier au 4 février 2018 inclus. Le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux, considérant que l’agent était en situation d’absence non justifiée, a décidé d’appliquer une retenue de 13 trentièmes pour service non fait sur son traitement mensuel, par une décision du 24 janvier 2018. Par la requête enregistrée sous le n°1801697, M. A... demande au tribunal l’annulation de cette décision et la condamnation de l’Etat à lui verser la somme d’un euro en réparation du préjudice moral que lui a causé son illégalité et, par la requête enregistrée sous le n°1801917, il demande l’annulation de cette même décision ainsi que du rejet de son recours hiérarchique formé à son encontre le 5 mars 2018.

2. Les requêtes n°1801697 et n°1801917 présentent à juger les mêmes questions et elles ont fait l’objet d’une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.

Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires :

3. L’article R. 421-1 du code de justice administrative prévoit que : « La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (…) ». M. A...ne justifie pas avoir présenté une demande indemnitaire à l’administration. Dès lors, le contentieux n’étant pas lié, les conclusions de la requête tendant à l’indemnisation du préjudice moral causé par l’illégalité de la retenue sur traitement sont irrecevables et doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

4. Aux termes de l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : « Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (…) ». Aux termes de l’article 25 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : « Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'administration dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. (…) / L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'administration, soit par l'intéressé, des conclusions du médecin agréé ».

5. Il résulte de ces dispositions que peuvent seuls être regardés en situation d'absence irrégulière ceux des agents qui, soit se sont absentés sans produire un certificat médical, soit ont refusé de se soumettre à une contre-visite médicale ordonnée par l'administration. L’administration n’ayant pas fait procéder à la contre-visite de M.A..., qui avait produit un avis d’interruption de travail, aucune disposition législative ou réglementaire ne l’autorisait à procéder à une retenue sur son traitement.

6. D’une part, la circonstance, invoquée en défense par la ministre de la justice, que des arrêts de travail sont intervenus en grand nombre et de manière simultanée à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Bordeaux ne pouvait dispenser l’administration de faire procéder à une contre-visite. D’autre part, l’appel au blocage des établissements pénitentiaires par plusieurs syndicats et le nombre anormalement élevé des arrêts de travail d’agents pénitentiaires sur la période du 24 au 29 janvier 2018, ne sauraient suffire à faire regarder le certificat médical fourni par M. A...comme un certificat de complaisance et l’agent comme n’ayant pas produit de certificat médical. Par suite, en considérant que M. A...était en situation d’absence injustifiée entre le 23 janvier et le 4 février 2018, et en procédant, pour ce motif, à une retenue sur son traitement, l’administration a commis une erreur de droit.

7. Dans son mémoire en défense, l’administration invoque un nouveau motif de droit, propre à justifier une retenue d’un trentième, tiré de l’application de l’article 115 de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, aux termes duquel : « I. - Les agents publics civils (…) ne bénéficient du maintien de leur traitement (…) qu'à compter du deuxième jour de ce congé. (…) ». Ce motif pouvait fonder légalement la décision de retenue, qui est divisible, en tant qu’elle porte sur le 23 janvier 2018, premier jour de congé. Par suite, dès lors qu’elle ne prive le requérant d’aucune garantie procédurale, il y a lieu de procéder à la substitution demandée pour cette journée, soit pour un trentième de la retenue de traitement appliquée.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que M. A... n’est fondé à demander l’annulation de la décision du 24 janvier 2018 appliquant une retenue de 13 trentièmes sur son traitement du 23 janvier au 4 février 2018 et de la décision rejetant son recours hiérarchique qu’en tant qu’elles appliquent une retenue de traitement pour la période du 24 janvier au 4 février 2018, soit à hauteur de 12 trentièmes.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

9. Eu égard à ses motifs, le présent jugement implique seulement et nécessairement que l’administration verse à M. A... son traitement du 24 janvier au 4 février 2018. Il y a lieu d’enjoindre à la ministre de la justice d’y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Sur les frais de procès :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat le versement à M. A...de la somme de 800 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépends.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 24 janvier 2018 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux et la décision implicite de rejet du recours gracieux de M. A... sont annulées en tant qu’elles appliquent une retenue de traitement pour la période du 24 janvier au 4 février 2018, soit 12 trentièmes.

Article 2 : Il est enjoint à la ministre de la justice de verser à M. A... son traitement du 24 janvier au 4 février 2018 dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Article 3 : L’Etat versera à M. A... la somme de 800 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.