Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés au greffe du tribunal administratif de Bordeaux le 16 mars 2017 et le 10 avril 2018 la société La Guyennoise représentée par la SCP UGGC-Avocats, demande au tribunal :

1°) d’annuler le titre de recette n°2016-1800 du 15 septembre 2016 notifié le 19 septembre 2016 par lequel le directeur général de l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer) lui a demandé de reverser la somme de 514 359,48 euros en reversement d’aide indûment perçue, et la décision implicite par laquelle la même autorité a rejeté son recours gracieux contre ce titre ;

2°) de la décharger de l’obligation de payer la somme de 514 359,48 euros ;

3°) de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 novembre 2017, France AgriMer conclut au rejet de la requête.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 ;
- le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole ;
- le règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008 fixant les modalités d'application du règlement (CE) 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole ;
- le règlement (CE) n° 485/2008 du Conseil du 26 mai 2008 relatif aux contrôles, par les Etats membres, des opérations faisant partie du système de financement par le Fonds européen agricole de garantie ;
- le règlement (CE) n° 1258/1999 du Conseil du 17 mai 1999 :
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
- le code civil ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de Mme Lefebvre-Soppelsa, premier conseiller,
- les conclusions de M. Ferrari rapporteur public,
- et les observations de Me Guillaume Blanchard de la SCP UGGC-Avocats pour la société La Guyennoise.

Considérant ce qui suit :

1. La société La Guyennoise, spécialisée dans le négoce de vin, a obtenu pour la construction d'un nouveau local de stockage et de conditionnement et la modernisation de son matériel de mise en bouteille des subventions dans le cadre d’un programme cofinancé par la région Aquitaine et le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) avec lesquels elle a signé deux conventions respectivement les 2 et 4 février 2009. La partie de son projet relative au bâtiment de stockage étant devenue éligible au dispositif d'aide aux investissements dans le domaine de la construction de bâtiments des entreprises vitivinicoles financé par le Fond européen agricole de garantie (FEAGA) la société La Guyennoise a formulé, le 22 décembre 2009, une demande à ce titre, reçue le 4 janvier 2010 par l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer). Par décision du 13 juillet 2010, le directeur de FranceAgrimer lui a attribué une aide de 550 409,80 euros et une convention a été signée le 3 août 2010. L'éligibilité de certaines dépenses ayant été remise en cause, l’aide finalement versée par FranceAgriMer à la société La Guyennoise au titre du FEAGA s’est élevée à la somme de 514 359,48 euros. Suite à un contrôle de la mission de contrôle de la régularité des opérations dans le secteur agricole, FranceAgriMer a notifié à la société La Guyennoise, le 19 septembre 2016, un titre de recette à hauteur du montant total de l’aide versée au double motif que le bâtiment à usage de stockage avait été réalisé sans l'obtention préalable de l’autorisation d'urbanisme nécessaire et que la société n'était pas à jour de ses obligations environnementales avant que ne démarre la réalisation du projet. La société La Guyennoise demande au tribunal d’annuler ce titre de recette et la décision implicite de rejet résultant du silence gardé sur son recours gracieux réceptionné le 18 novembre 2016, ainsi que la décharge de l’obligation de payer la somme de 514 359,48 euros.

Sur la compétence de la signataire du titre de recette :

2. Aux termes de l’article 192 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : « L'ordre de recouvrer émis dans les conditions prévues à l'article 28 est adressé aux redevables sous pli simple ou, le cas échéant, par voie électronique, soit par l'ordonnateur, soit par l'agent comptable (…) » et aux termes de l'article D. 621-27 du code rural et de la pêche maritime : « « Le directeur général de FranceAgriMer (…) / 6° Est ordonnateur principal des recettes et des dépenses de l'établissement ; il peut désigner des ordonnateurs secondaires (…). Il peut déléguer sa signature aux agents placés sous son autorité. Les actes de délégation font l'objet d'une publication au Bulletin officiel du ministère chargé de l'agriculture. (…) ».

3. En l’espèce, le titre de recettes n° 2016-1800 a été signé par Mme C...A..., chef de l'unité Suites de Contrôles et Coordination Communautaire notamment en charge de l'exploitation des contrôles réalisés après paiement des aides aux bénéficiaires par l’établissement des décisions de reversement et l’ordonnancement des titres de recette. Il résulte de l’instruction que le directeur général de FranceAgriMer a donné, par décision du 4 mai 2016 publiée au bulletin officiel du ministère de l’agriculture du 5 mai 2016, délégation de signature à Mme C...A...pour les actes relevant des attributions de cette unité. Dès lors le moyen tiré de l’incompétence de la signataire du titre de recette doit être écarté comme manquant en fait.

Sur le bien fondé de la demande de reversement :

4. Aux termes de l’article premier du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 : « (…) 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes (…), soit par une dépense indue ». Aux termes de l’article 4 de ce règlement : « 1. Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l'avantage indûment obtenu : / - par l'obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus, / - par la perte totale ou partielle de la garantie constituée à l'appui de la demande d'un avantage octroyé ou lors de la perception d'une avance (…) ». Selon les dispositions de l’article 8 du règlement (CEE) n° 729/70 du Conseil, du 21 avril 1970 relatif au financement de la politique agricole commune, reprises à l’article 8 du règlement (CE) n° 1258/1999 du Conseil du 17 mai 1999 : « 1. Les Etats membres prennent, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, les mesures nécessaires pour : / (…) b) prévenir et poursuivre les irrégularités ; / c) récupérer les sommes perdues à la suite d'irrégularités ou de négligences (…) ». Ces dispositions font obligation aux administrations nationales de récupérer les sommes provenant du budget communautaire indûment versées.

5. Aux termes du titre de recette attaqué les manquements de la société La Guyennoise à l’origine de l’ordre de reversement en litige sont relatifs notamment au non respect par la société requérante, d’une part, de son engagement à obtenir avant la réalisation du projet l’autorisation d’urbanisme nécessaire, d’autre part, de ses obligations environnementales. Ces deux engagements figuraient dans la demande de subvention qu’elle a présentée le 22 décembre 2009 et lui sont dès lors opposables quand bien même ils n’étaient pas formellement repris aux termes de la convention en date du 3 août 2010.

6. Il résulte de l’instruction qu’alors que la société requérante s’était engagée à obtenir avant la réalisation du projet l’autorisation d’urbanisme nécessaire, la première demande de permis de construire n’a été déposée que le 11 avril 2011 et le permis de régularisation n’a été délivré que le 30 août 2013 alors que la construction du bâtiment avait commencé le 3 juillet 2009 et s’était achevée le 18 septembre 2009. Il résulte également de l’instruction que la demande de subvention visait l’autorisation d’exploiter délivrée par le préfet au titre de la réglementation sur les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) le 13 décembre 2005, autorisation relative à une production maximale de 90 000 hl/an qui n’était pas suffisante au regard de l’extension des capacités de stockage générée par le projet et que la société requérante n’a fait une demande de régularisation que le 26 février 2012.

7. La société requérante soutient que dès lors qu’elle a obtenu en 2012 l’autorisation ICPE requise et en 2013 le permis de construire, les manquements qui lui sont reprochés relatifs au non respect de ses obligations environnementales et à la construction du bâtiment sans permis ne peuvent fonder une demande de reversement. Cependant, les irrégularités en cause tenant au non respect d’engagements préalables aux travaux et donc à l’éligibilité même de la demande de subvention ne peuvent être regardées comme ayant été couvertes par une régularisation postérieure. Dès lors, et pour ce seul motif, FranceAgriMer est fondé à demander le remboursement total des subventions qui en conséquence de ces irrégularités ont été indument versées.

Sur l’exception de prescription de la créance :

8. Aux termes de l’article 1er du règlement (CEE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes : « 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue ». Aux termes de l’article 3 du même règlement : « 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité visée à l’article 1er paragraphe 1. (…) / Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l’irrégularité a pris fin (…) / 3. Les Etats membres conservent la possibilité d’appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2. ». Aux termes de l’article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, entrée en vigueur le 19 juin 2008 : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ».

9. Il résulte de l’arrêt du 5 mai 2011 Ze Fu Fleischhandel GmbH et Vion Trading GmbH de la Cour de justice de l’Union européenne (affaires C-201/10 et C-202/10) que le principe de sécurité juridique s’oppose à ce qu’un délai de prescription tel que le délai de la prescription trentenaire fixé antérieurement au 19 juin 2008 par l’article 2262 du code civil puisse être appliqué aux actions des organismes d’intervention agricole lorsqu’ils réclament le reversement d’une aide indûment versée. Par suite, seul le délai de prescription de quatre années prévu par l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995 précité était applicable jusqu’à l’entrée en vigueur des dispositions de la loi du 17 juin 2008 ayant ramené le délai de prescription à cinq ans. En revanche, ce nouveau délai de prescription doit être tenu pour admis par la règlementation européenne telle qu’elle a été interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne. Depuis le 19 juin 2008, FranceAgriMer peut donc s’en prévaloir pour procéder au rappel de fonds européens.

10. Par ailleurs, ainsi que la Cour de justice de l’Union européenne l’a dit pour droit dans un arrêt du 11 juin 2015 Pfeifer & Langen GmbH (affaire C-52/14), le délai de prescription commence à courir, en cas d’irrégularité continue ou répétée, à compter du jour où celle-ci a pris fin, quelle que soit la date à laquelle l’administration nationale a pris connaissance de cette irrégularité.

11. La société requérante soutient que la créance de FranceAgriMer était prescrite à la date de notification du titre de recette en litige, le délai de prescription ayant commencé à courir au plus tard à la date de commencement des travaux sans autorisation de construire ni autorisation d’exploiter valable soit en juillet 2009.

12. Ainsi qu’il a été dit les manquements reprochés à la société requérante tenant au non respect de conditions préalables au commencement des travaux ne peuvent être regardées comme ayant été couvertes.

13. En tout état de cause, s’agissant du non respect par la société requérante de son engagement à obtenir avant la réalisation du projet l’autorisation d’urbanisme nécessaire, ainsi qu’il a déjà été dit, le permis de régularisation n’a été délivré que le 30 août 2013 et s’agissant du non respect par la société requérante de ses obligations environnementales, la société requérante n’a fait une demande de régularisation que le 26 février 2012 alors qu’ainsi qu’il a été dit au point 6, le délai de prescription commence à courir, en cas d’irrégularité continue ou répétée, à compter du jour où celle-ci a pris fin. Dès lors s’agissant des manquements reprochés à la requérante, ce sont les dates de régularisation des irrégularités qui doivent être prises en compte soit s’agissant du défaut d’autorisation d’urbanisme le 30 août 2013, date de la délivrance du permis de régularisation et s’agissant de l’insuffisance de l’autorisation ICPE le 26 février 2012, date de délivrance de l’autorisation requise. Par suite, à la date du titre de recette attaqué, l’action en restitution des aides en litige n’était pas prescrite.

Sur l’application du principe de confiance légitime :

14. Le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, ne trouve à s’appliquer dans l’ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit communautaire. Tel est le cas lorsqu’est en cause la répétition d’aides versées en application d’une réglementation communautaire. La possibilité de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime est ouverte à tout opérateur économique de bonne foi auprès duquel une institution publique a fait naître des espérances fondées, y compris, sous réserve que cela ne porte pas une atteinte excessive à un intérêt public ou au principe de légalité, dans le cas où elle l’a fait bénéficier d’un avantage indu mais que l’opérateur pouvait néanmoins, eu égard à la nature de cet avantage, aux conditions dans lesquelles il a été attribué et au comportement de l’administration postérieurement à cette attribution, légitimement regarder comme lui étant définitivement acquis.

15. Il résulte de l’instruction, ainsi qu’il a été dit aux points précédents, qu’à la date de la demande de subvention la société requérante s’est engagée à obtenir avant la réalisation du projet le permis de construire alors qu’elle avait déjà exécuté les travaux sans autorisation et qu’elle a attesté sur l’honneur être à jour de ses obligations environnementales alors que suite à une visite d’inspection le préfet de la Gironde lui avait indiqué par courrier du 28 février 2007 avoir pris connaissance de son projet d’extension de ses capacités de stockage et demandé d’envoyer un dossier relatif à ce projet. Dès lors, elle n’était pas de bonne foi et ne peut, par suite, ni se prévaloir de la méconnaissance du principe de protection de la confiance légitime ni invoquer le manque de diligence de l’administration.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société La Guyennoise doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société La Guyennoise est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société La Guyennoise et à l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer.